Télécharger le PDF

La régulation consiste à équilibrer, ou mettre en adéquation, des ressources (des offres) et des besoins (des demandes).

En Polynésie française cette compétence incombe à différents services comme l’ARASS (Agence de Régulation de l’Action Sanitaire et Sociale) ou l’Autorité de la concurrence.

D’autres services assurent également des missions de régulation comme la Direction de la Biosécurité pour les produits phyto et zoo-sanitaires, la Direction Générale des Affaires Economiques pour la grande consommation ou la DIREN pour l’environnement.

Pour autant, cette mission paraît de moins en moins visible alors qu’elle est pourtant essentielle.

La crainte d’une disparition

Depuis quelques temps, il semble que cette mission primordiale tende à disparaître au profit d’arbitrages plus politiques au coup par coup. Nous nous en sommes inquiétés auprès de la directrice de l’ARASS qui s’est voulue rassurante.

Lorsque des règles sont contournées sur l’autel d’un arbitrage politique, il y a pourtant de quoi s’inquiéter, même si ces arbitrages politiques sont parfois rationnels. L’histoire à rebondissements de la pharmacie de Bora Bora en est un bel exemple. Cependant, si les règles ne sont pas bonnes, ce sont elles qu’il faut changer et non les processus décisionnels.

Mieux cerner le problème

La régulation est un mécanisme complexe dans lequel la planification et l’évaluation de l’avenir sont importantes. Car pour réguler, il faut pouvoir contrôler et évaluer. Il faut également savoir financer pour éviter les gaspillages, les pénuries ou l’exclusion de certaines populations.

Réguler ce n’est pas se contenter de fixer des règles séparant les actions légales des actions illégales. Ce n’est pas non plus élaborer des textes pour justifier des usages ou des pratiques. Réguler c’est mettre en œuvre un cadre pour protéger les populations dans le présent et dans l’avenir.

Le rāhui est une régulation par laquelle les ressources naturelles sont préservées en quantité suffisante au regard de la consommation actuelle et future. Ce concept est donc commun à bien des civilisations.

En règle générale, plus la recherche du profit est intense, plus la nécessité de réguler est importante car les dérives et les excès deviennent légion.

La partie visible de l’iceberg

Lorsque l’on pense à la régulation, d’instinct la pensée se focalise sur la santé, les maladies et leur prévention. L’ARASS est bien l’Agence de Régulation de l’Action Sanitaire ET Sociale. Son champ d’action dans la régulation s’étend donc bien au-delà de la santé.

Grace aux élans médiatiques que provoquent régulièrement les orientations de l’Autorité de la concurrence, on associe également la régulation au cadre économique et commercial. La concentration de l’économie entre les mains de quelques grands groupes avec la bénédiction du régulateur contraint d’ailleurs à s’interroger…

En raison d’une préoccupation heureusement croissante pour notre environnement, la Direction de l’environnement assure également des missions de régulation.

Dans une moindre mesure, on pense aux substances dangereuses, comme certains produits phytosanitaires, certains produits chimiques ou des aliments. Mais la régulation couvre également des objets qui ne respectent pas les normes que nous nous sommes fixées pour préserver notre santé et notre sécurité. La régulation devrait aussi s’étendre à des activités pour lesquelles nous ne souhaitons pas voir s’installer des charlatans.

Dans la régulation, il y a aussi toutes les concessions de services publics comme l’électricité, les transports, le traitement des déchets ou des eaux usées.

Evaluer des risques

Le régulateur doit d’abord évaluer les besoins d’intervention de la puissance publique, car il n’y a pas lieu de tout réguler. Il ne s’agit pas forcément non plus d’estimer des quantités de biens et services dont la population aurait besoin, comme cela avait cours au moment de la planification soviétique. Il s’agit plutôt d’évaluer des risques.

Quel est le risque que l’offre de soins ne corresponde pas aux besoins de la population ? Quels sont les risques induits par les numerus clausus adoptés sur le Fenua et l’exclusion qu’ils provoquent de nos enfants partis se former à l’étranger ? Quels sont les risques de laisser de faux professionnels exercer des métiers divers ? Quels sont les risques inhérents à un protectionnisme trop poussé ? Etc…

Une fois les risques répertoriés et évalués, se pose la question du comment les restreindre. C’est là que le travail du régulateur prend tout son sens car il doit faire preuve d’une très grande finesse.

Prenons l’exemple de la médecine traditionnelle. Sa pratique doit-elle être laissée libre au risque de voir des personnes aux connaissances trop rudimentaires faire courir des risques à des malades ? Pour autant, doit-on interdire la médecine traditionnelle qui sur bien des aspects a fait ses preuves ? Faute de certification, comment différencier un tradipraticien expérimenté d’un débutant ou pire d’un charlatan ?

Telle est la question à laquelle le régulateur doit répondre car son rôle n’est ni d’autoriser ni d’interdire. Cette prérogative revient à l’assemblée et au gouvernement. Le régulateur doit trouver une solution équilibrée aux orientations du législateur. Souvent, le régulateur intervient dans le vide législatif, ce qui rend son travail encore plus complexe.

Cette problématique du tradipraticien se retrouve partout : avec les plombiers, les électriciens, les bijoutiers, etc… Car il n’est pas question que nos populations puissent être confrontées à des usurpateurs. Ces exemples n’ont pas été choisis par hasard. Combien de personnes exercent en s’improvisant plombier, électricien, garagiste, masseur, esthéticien, coiffeur ?

Combien d’usagers déversent ensuite leurs déceptions sur les réseaux sociaux après avoir été abusés par un individu se présentant comme un « professionnel » alors que le résultat de son travail témoigne de son amateurisme ? Pourtant, toutes ces professions reposent sur des formations et des diplômes logiquement consultables.

Le régulateur devrait avoir pour mission de valider l’inscription d’une personne au registre des entreprises sur la base d’une formation reconnue. En dehors des professions médicales et de certains métiers sensibles, cette mission ne semble dévolue à aucun service. C’est ainsi que tout « bricolopithèque » peut s’improviser peintre, plâtrier, fleuriste, décorateur voire magnétiseur…

Evaluer les politiques publiques et les réorienter

Même si tout n’est pas à réguler, le champ d’intervention reste vaste pour un gouvernement qui souhaiterait conserver une gestion saine.

La régulation est un processus en perpétuel adaptation. On ne régule pas « une bonne fois pour toute », car l’environnement change. Pour ajuster les mesures de régulation, il faudrait logiquement évaluer les politiques publiques. Or aujourd’hui, il semble que seule la chambre territoriale des comptes effectue ce travail, ce qui est regrettable.

Les prix et les marges de certains biens sont encadrés. Mais a-t-on pour autant évalué l’impact de ces mesures ? Pas à notre connaissance.

Le gouvernement distribue des sommes considérables en subventions ou en défiscalisation. Quelles évaluations ont été faites pour déterminer s’il était judicieux de maintenir ces soutiens financiers pour telle ou telle association, activité ou société ? Aucune.

La protection sociale généralisée est en place en Polynésie française depuis 1994. Pour autant, les rares évaluations que l’on en trouve ont été réalisées par… la chambre territoriale des comptes qui s’est essentiellement focalisée sur des aspects financiers.

La pauvreté progresse au Fenua malgré l’affichage d’une politique sociale « active ». Alors qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Quelles évaluations ont été menées par les différentes entités en charge de la régulation ? La réponse est dans l’ironie de la question.

Loin de nous la volonté de cibler d’éventuelles défaillances dans les services de notre administration. Si défaillances il y a eu, elles émanent de la commande gouvernementale, des missions et des moyens qui sont confiés aux différents services concernés.

Les qualités du régulateur

Comme nous l’avons indiqué, le régulateur avance souvent en terres inconnues. Il doit se poser des questions souvent non encore soulevées, essayer d’anticiper ce qui n’a pas encore été observé et produire des avis.

Le régulateur doit donc être créatif, informé et cultivé ! Il doit logiquement maintenir à jour ses connaissances sur ce qu’il se passe ailleurs dans le monde afin d’avoir à sa disposition le plus d’éléments de référence possibles.

Le régulateur doit aussi être efficient car la problématique sur laquelle il doit apporter un éclairage est inscrite dans le très court terme. Il n’a pas le droit de laisser végéter la question. Il est contraint, par sa fonction, d’y apporter un éclairage quasi immédiat.

Il doit être constant, transparent et rendre des comptes aux parties prenantes (gouvernements, élus, usagers, payeurs, etc.). Il devrait logiquement porter sur la place publique des éléments d’éclairage afin que toutes les personnes concernées puissent affiner leurs opinions. Car le régulateur ne tranche jamais, insistons sur ce point ! Cette prérogative revient au gouvernement et aux représentants de l’assemblée de Polynésie.

Le régulateur se doit de prendre de la hauteur sur les problématiques qui lui sont présentées car il doit offrir une vision d’ensemble. Il est rare qu’une décision ne soit pas sans conséquences multiples.

Prenons l’exemple de l’importation de jouets. Si le régulateur considère que les normes de sécurité et d’hygiène ne sont pas respectées, il doit logiquement en recommander l’interdiction d’importation. Mais pour autant les objets sont déjà là, dans leur container sur le port. Un commerçant y a investi de l’argent. Accepter leur entrée c’est faire courir un risque à des enfants. Refuser leur entrée c’est provoquer la colère d’un commerçant par la perte de son investissement. Pas simple comme position, surtout dans une petite économie insulaire où la plupart des intervenants se connaissent…

Enfin, et par-dessus tout, le régulateur doit être fidèle à une morale, une éthique et une déontologie. Il devrait ainsi jouir d’une protection toute particulière pour que ses arbitrages ne souffrent d’aucune pression politique ou commerciale. A ce jour aucune loi n’est venue garantir cette liberté de penser et c’est bien regrettable.

Un contexte changeant et de nouveaux défis

Le régulateur est confronté à un contexte en perpétuelle évolution : nouvelles maladies, nouvelles technologies, nouvelles prestations, nouveaux produits, crises sanitaires majorées par le changement climatique, accroissement des inégalités socio-économiques et géographiques, mais aussi vieillissement de la population, concentration urbaine et augmentation de la demande.

Dans pareil contexte, les inégalités d’accès aux soins, à la consommation ou à l’information ne font que progresser. Sauf népotisme et capitalisme outrancier, l’accroissement de ces inégalités n’est pas acceptable collectivement.

Le régulateur doit rester vigilant à toute ces évolutions et demeurer force de proposition afin de préserver des équilibres souvent fragiles.

Quid d’un cadre non régulé ?

Les plus libéraux sont en général favorables à la dérégulation. Disons qu’il s’agit d’une position de dominant tout à fait légitime. Car lorsqu’on n’émarge pas au rang des privilégiés, la dérégulation est une catastrophe. La situation américaine en est un bon exemple, notamment son système de soins.

Déréguler c’est accroître les inégalités, et notamment les inégalités d’accès aux soins et à la protection, quelle que soit la nature du danger. A terme, cela conduit généralement à une absence de prise en charge. Car dans un monde non régulé, rien ne contraint un professionnel de soins à prodiguer ses services à une personne qui ne peut pas payer.

Par ailleurs, tout le monde n’a pas accès au même niveau d’information. Dès lors, ceux qui ont un niveau d’instruction suffisant parviennent par leurs connaissances à éviter les pièges de la consommation. Ce n’est pas le cas de tous. Il serait immoral de laisser des populations s’exposer à des risques sous prétexte qu’elles n’ont pas eu l’accès à des niveaux d’instruction suffisants.

L’absence de régulation conduit ainsi à des coûts élevés, à une surproduction de spécialités médicales ou de services peu rentables pour la population, au charlatanisme, à des zones de sur-représentation et des déserts médicaux comme dans l’Hexagone.

Qui dit absence de régulation dit également absence de contrôle et de traitement. Cela favorise l’apparition de prestations non validées ou dangereuses, comme des marchés parallèles de médicaments dans certains pays.

Chacun en conviendra, le gain collectif de la régulation est indéniable.

Quel espace de liberté pour le régulateur ?

Serait-il envisageable de déléguer cette compétence à un prestataire extérieur ? La réponse qui semble la plus évidente est « non ». Besoin de cohérence des politiques publiques, nécessité d’être imprégné du contexte local, et surtout exigence d’une vision d’ensemble font qu’il paraît délicat de déléguer pareille compétence. Les collusions entre entités privées sont par ailleurs plus faciles qu’entre entités publiques et privées. Quoi que… 😊

Pourtant, il existe actuellement plusieurs entités privées dans le domaine de la planification/régulation. Nous en avons dénombré au moins quatre dans le domaine sanitaire et social et celles qui œuvrent dans le domaine sanitaire se connaissent parfaitement… tout en étant normalement « concurrentes ».

Que serait alors un régulateur sans un pouvoir de sanction ? Certains services impliqués dans la régulation n’ont pas obtenu le transfert de pouvoirs de sanctions. Parfois, le législateur n’a pas pris en considération, y compris dans les textes réglementaires eux-mêmes, les contraintes techniques, financières ou géographiques. Il en découle ainsi des contrôles quelques fois impossibles ou inopérants.

C’est paradoxal car la sanction est l’unique arme du régulateur. La « pédagogie » a déjà montré toutes ses limites auprès d’acteurs pour qui la fin justifie généralement les moyens. On régule… sans trop réguler. C’est un peu comme se mettre la main devant les yeux pour ne pas regarder tout en écartant les doigts.

Ne pas faire les choses à moitié

« Si vous ne prenez pas le changement en main, il vous prendra à la gorge. » Cette situation attribuée à Winston CHURCHILL en dit long. Elle traduit surtout l’importante de ne pas faire les choses à moitié.

Or aujourd’hui, il apparaît que certaines missions de régulation ne sont pas couvertes par notre administration. Dans bien des cas, les services potentiellement concernés ne disposent pas des moyens nécessaires pour rendre effective une véritable politique de régulation.

Finalement, l’autorité gouvernante souhaite-t-elle une autorité qui régulerait véritablement, au point d’entraver certaines libertés prises par nos dirigeants ?

La collectivité retirerait indéniablement des bénéfices à l’émergence d’une autorité administrative indépendante de régulation avec de véritables pouvoirs de sanctions. L’autorité politique, quant à elle, a certainement de quoi le redouter. C’est là que le bât blesse !

Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.