Je m’appelle Teanini (prénom d’emprunt) et je suis agent d’éducation pour élève en situation de handicap. Comme cela a déjà été exposé dans une précédente tranche de vie, je prends en charge des élèves en situation de handicap qui ne peuvent suivre une scolarité normale. J’interviens aux côtés du professeur des écoles afin de trouver la meilleure approche pédagogique pour ces enfants hors normes. Mon temps de présence en classe est donc calé sur celui des professeurs des écoles.
Lorsque les nouveaux rythmes scolaires ont été mis en place, mon temps de présence devant élève a logiquement été diminué. Mais comme je relève de la fonction publique territoriale, mon temps de travail est resté inchangé. Il a donc fallu compléter ces trois heures perdues par semaine avec les enfants. Comme rien n’avait été préparé, on m’a demandé de jouer le rôle d’accompagnatrice lors des activités pédagogiques complémentaires où durant les activités périscolaires. D’une certaine façon, j’ai eu plus de chance que certains collègues à qui on a demandé de faire du ménage, de la garderie, des photocopies ou de l’archivage. Car toutes ces « activités » n’ont rien à voir avec mon métier et encore moins avec ma fiche de poste. Je n’ai pas choisi ce métier pour me retrouver à balayer des salles de classe ou nettoyer des toilettes ! J’ai choisi ce métier pour rendre possible la scolarisation des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire et cela s’appelle l’inclusion.
Si mes conditions de travail se sont dégradées cette année, c’est parce qu’il n’y a eu aucune concertation, aucune discussion autour de l’implication des changements de rythmes scolaires. Anciens rythmes, nouveaux rythmes, je n’ai pas d’avis sur la question en tant qu’agent d’éducation pour élève en situation de handicap. En revanche, sur l’utilisation de ces trois heures par semaines, oui j’ai un avis. Et je m’aperçois que cet avis est globalement partagé par celles et ceux qui font le même métier que moi ! J’ai besoin de formation, de partage de compétences, d’appui dans la création de supports pédagogiques adaptés, de soutien pour l’analyse de ma pratique professionnelle. Je suis Agent d’Education pour Elève en Situation de Handicap (AEESH) et accompagner des enfants en situation de handicap ne s’improvise pas. Si l’objectif de la société est d’inclure sincèrement ces élèves à besoins éducatifs particuliers, il est plus que nécessaire de former le personnel qui les accompagne, enseignants et AEESH.
D’une circonscription à l’autre, d’une école à l’autre, les réactions ont été différentes. Certains de mes collègues ont eu plus de chance que moi en se voyant autorisés à consacrer ces trois heures pour des préparations. Pour autant, tous les agents d’éducation pour élèves en situation de handicap auraient dû être logés à la même enseigne.
J’ai vu l’intervention du ministre de l’éducation sur les ondes de TNTV qui expliquait que le comité technique paritaire avait été réuni début avril, que l’avis avait été donné et que les nouveaux arrêtés avaient été adoptés. Il ajoutait même avec ironie que la concertation était importante et qu’il y était ouvert. Mais où est-elle cette concertation ? Quand a-t-elle eu lieu ? Le fameux comité technique paritaire a été convoqué pendant les vacances scolaires, lorsque personne n’était disponible. J’ai appris que plus de la moitié des représentants du personnel avait demandé son report en raison de leur impossibilité d’y participer. Pour autant l’administration n’a pas tenu compte de cette situation. Elle a maintenu son comité sans se soucier du dialogue. Je suis écœurée par autant de mensonge et de cynisme. Lorsque la concertation est importante, on s’assure que tout le monde est là pour discuter. Je déplore ce manque de considération.
Pourtant, d’après nos représentants, une note de service est en cours d’élaboration pour mieux cadrer nos missions et l’utilisation de notre temps de travail. Cette note négociée entre des personnes compréhensives et ouvertes de notre administration avec des représentants du personnel ouvrait un espoir. Pour que ce document ait une véritable force, il aurait dû être présenté devant ce comité technique paritaire pour y être entériné. Ainsi, nous aurions eu la certitude que nos revendications étaient prises en considération et que tous les fonctionnaires comme moi seraient logés à la même enseigne, quelles que soient leurs écoles ou leurs circonscriptions !
Depuis, j’ai appris que les délais de convocation n’ont pas été respecté, que les documents ont été adressé quelques jours à peine avant ce fameux comité, le tout dans la précipitation la plus complète, justement pour ne surtout pas permettre le dialogue.
Sur un sujet aussi important, il était crucial de nous laisser le temps du partage pour que nous soyons, comme ils aiment à le dire, force de proposition ! Il n’y avait aucune urgence puisque le tribunal administratif a permis de terminer l’année sans changement. Alors quand le ministre déballe des discours aux antipodes de son comportement, il nous prend juste pour des larbins, des abrutis dont l’avis ne compte pas, des moins que rien. C’est humiliant, rageant et désespérant. Et après cela on s’étonne que le dialogue social se tende entre syndicats et administration ?
Après pareille démonstration de force du ministre, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur ma place dans le monde de l’éducation. Mon objectif personnel, mais aussi celui de bien de mes collègues je le vois, est de mieux réaliser notre travail.
Si l’Education Nationale a si peu de considération pour moi, quelle chance donne-t-elle à l’inclusion dans le système éducatif polynésien.
Un enfant accompagné, pris en charge, a davantage de chances de se développer favorablement. Un enfant négligé ou mal accompagné risque probablement de devenir un adulte dépendant et peu épanoui. Ce n’est pas ma représentation de la société inclusive. Cet échec me sera alors attribué alors qu’il résultera de décisions prises par des technocrates sans me concerter. C’est la raison pour laquelle je me bats pour être formée et que je souhaite que ce soit inscrit dans la réglementation !
Comme le ministre s’est empressé de faire les choses sans visiblement respecter les règles, j’espère que les nouveaux arrêtés seront de nouveau attaqués. Et même si ça fait braire tout le monde, j’espère que cette fois la justice administrative ne cherchera pas de nouveaux artifices pour sauver l’administration de ses pratiques immorales et illégales. J’espère qu’elle fera tomber les horaires sans effet décalés, créant ainsi le chao et qu’elle imposera ce que le ministre est incapable de faire : dialoguer.
Mes collègues et moi voulions que le comité technique paritaire entérine la même utilisation de ces trois heures libérées devant élève de la même façon pour tout le monde ! Pas que cela reste comme aujourd’hui au bon vouloir d’un directeur d’école ou d’une circonscription. Nous souhaitions pouvoir nous retrouver une fois par semaine au sein de nos circonscriptions pour mettre en œuvre ces formations que nous revendiquons, ces moments de partages de compétences.
PS : Quelques jours à peine avant la publication de cette tranche de vie, le ministre en charge de l’éducation, informé de notre nouvelle démarche juridique, a souhaité nous rencontrer. Le ministère a reconnu l’irrégularité des nouveaux arrêtés et a consenti à l’adoption d’une circulaire pour entériner les demandes des fonctionnaires territoriaux impactés par cette réforme. Nous prenons acte et proposerons un accord écrit au ministère. Sans accord, les nouveaux arrêtés seront déférés devant la juridiction administrative.