En avril 2025 se sont tenues les premières négociations annuelles obligatoires sur la revalorisation du point d’indice. Petit éclairage sur ces échanges…
Imposer cette rencontre par la loi
Contrairement à ce que certains médias ont écrit, cette rencontre annuelle est une orientation de notre syndicat et pas d’un autre qui cherche aujourd’hui en s’en attribuer la paternité.
Lors de la traditionnelle rencontre du 1er mai 2024, contrairement aux autres centrales qui réclamaient des revalorisations substantielles du point d’indice, nous avons simplement demandé que cette revalorisation cesse d’être au bon vouloir du politique mais qu’elle s’inscrive dans un calendrier obligatoire, comme dans le secteur privé.
Cette revendication faisait également partie de notre préavis de grève et l’inscription dans la loi de ces rencontres annuelles fait partie du protocole d’accord que nous avons signé avec le gouvernement. Cela étant clarifié, il nous a paru important de vous restituer le climat de ces négociations et ce qu’il traduit. La presse s’est faite l’écho du résultat, inutile donc de trop s’y attarder. Le gouvernement s’arque boute sur 1,9 %, soit un point indice qui passera de 1 060 à 1 080 F.CFP au 1er mai 2025. Cependant comme dans bien des cas, l’habillage en dit plus long que le résultat lui-même.
Des attentes fortes des syndicats
Les syndicats n’ayant jamais eu l’occasion d’échanger avec le gouvernement sur ce sujet précis, l’attente était forte. Elle était d’autant plus forte qu’en trente ans le pouvoir d’achat des fonctionnaires s’est rétréci telle une peau de chagrin.
Les dirigeants Tahoeraa / Tapura qui ont peu ou prou dirigé le pays pendant ces trente dernières années n’ont pas été d’une grande générosité avec les fonctionnaires. Les revalorisations accordées au point d’indice l’ont fait croître annuellement de 0,7 % alors que sur la même période l’inflation a augmenté au rythme annuel de 1,2 %.
La perte de pouvoir d’achat subie par les fonctionnaires provoque au bout d’un moment l’envie rationnelle d’un rattrapage.
A Tia I Mua proposait 6 %, la CSTP-FO 7,5 %, la FRAAP 20 % et notre syndicat 8,5 %. Si le chiffre de la FRAAP parait inaccessible budgétairement, il ne faut pas oublier qu’il résorberait simplement cette perte de pouvoir d’achat.
Une présentation sous forme de culpabilisation
Lors de ces négociations, le gouvernement a tout d’abord effectué une très longue digression sur la situation sociale du Pays et le fait que bon nombre de nos concitoyens vivent dans la plus grande précarité.
Au milieu de ces négociations, c’était un peu comme associer les fonctionnaires à la situation sociale du Pays. « Inconsciemment » ou « sciemment », il s’agissait de nous rappeler que nous n’avions pas à nous plaindre.
Pour souligner notre situation de « privilégiés », le gouvernement a tenté de nous expliquer que nous étions mieux lotis que nos confrères de la fonction publique communale où le salaire moyens serait plus bas que le nôtre.
Le problème est que la fonction publique communale est toute récente et que bien évidemment l’ancienneté acquise y est moindre que dans la fonction publique territoriale. Dès lors, il est logique que le salaire moyen y soit moindre que dans la fonction publique territoriale. La structure des catégories n’est peut-être pas la même non plus…
Pour enfoncer le clou, le gouvernement a tenté de nous expliquer que nos salaires avaient augmentés… car notre ancienneté avait elle aussi progressé. On saluera la prouesse de considérer le mécanisme de l’ancienneté comme une augmentation de salaire acquise auprès de l’employeur.
Est ensuite intervenue l’étape classique de la division entre les catégories A, B, C et D. A ce petit jeu, les catégories A minoritaires dans l’administration font figure de grands méchants loups. Ce sont elles qui capteraient les richesses et la masse salariale. Presque « injustement » si l’on se réfère au ton de la présentation.
Pour le gouvernement, avant de revaloriser il semble donc primordial de réduire les inégalités entre les grilles de rémunération des catégories A, B, C et D.
Un contexte économique pourtant favorable
Le gouvernement ne s’est pas caché du fait que l’année 2024 avait été budgétairement favorable. La comptabilité fait apparaître un excédent d’environ 15 milliards de F.CFP, un gâteau conséquent dont les fonctionnaires pouvaient attendre une part.
Cependant, entre le 1er janvier et le 20 avril 2025, le gouvernement a déjà engagé 10 de ces 15 milliards de F.CFP de disponibilités. Il restait donc un reliquat de 5 milliards de F.CFP pour les négociations salariales. In fine les fonctionnaires n’auront qu’une enveloppe de 550 millions de F.CFP.
Devant pareille présentation, il est donc difficile de considérer que le pouvoir d’achat des fonctionnaires soit une véritable préoccupation du gouvernement. Il est même difficile de penser que l’administration dans son ensemble soit un sujet pour la majorité.
A de nombreuses reprises nous avons dénoncé les conditions de travail souvent indignes dans lesquelles se trouvent certains de nos collègues. Une partie du surplus budgétaire aurait parfaitement pu être orientée pour remettre à neuf des bâtiments publics dans lesquels les fonctionnaires travaillent. Le choix est tout autre et il suffit de regarder le fléchage des dépenses du gouvernement pour s’en rendre compte.
En ce sens, la majorité actuelle adopte une ligne de conduite conforme aux précédentes. Même désintérêt et même mépris pour l’administration.
Des propositions fort surprenantes
Ces négociations se sont étalées sur deux jours. Le premier, le gouvernement n’a quasiment jamais abordé la revalorisation du point d’indice. En revanche, il s’est lancé dans des propositions qui ne faisaient que noyer le poisson.
Ainsi nous a-t-on mis sur la table le « ticket restaurant » en oubliant bien de préciser que 30 % de sa valeur est prise en charge par le salarié lui-même. Et comme il s’agit d’un avantage en nature, il ouvre à cotisation auprès de la CPS et versement d’une CST.
On nous a proposé une prime fixe dont les modalités d’attributions n’étaient bien évidemment pas claires. Mais comme la volonté du gouvernement est d’apporter plus de soutien au petites catégories, cette prime aurait été majoritairement distribuée aux catégories C et D.
Est ensuite venue la possibilité du cumul de rémunération dont le AirBnB serait visiblement exclu des activités annexes éligibles. Cette proposition de cumul semble alléchante, mais tous les fonctionnaires n’ont pas la possibilité de démultiplier leurs sources de rémunérations. Cette possibilité risque donc d’être à l’origine de nouvelles inégalités entre agents de la fonction publique. Par ailleurs, elle n’a rien à voir avec la revalorisation du point d’indice.
Le gouvernement et certaines organisations syndicales y sont favorables. Le sujet fait débat au sein du conseil d’administration du SFP, notamment car la mesure ne touche en réalité que quelques privilégiés. Ce dispositif risque également d’ouvrir des zones de conflits.
Des agents publics pourraient être tentés d’utiliser du matériel de l’administration pour leurs activités annexes, et pire encore, d’empiéter sur leur temps de travail de fonctionnaires au profit de leurs activités secondaires. Pareille mesure risque donc de démultiplier les conflits car la frontière entre activité principale et activité annexe risque d’être parfois très mince.
Quant au secteur privé, il se retrouve concurrencé déloyalement par des personnes qui ont la garantie d’une ressource et qui peuvent pratiquer des tarifs relativement bas pour attraper des marchés.
Le gouvernement nous a également fait part de son « souhait » de réviser les grilles et les régimes indemnitaires avant toute revalorisation du point d’indice. Nous serions tentés de dire « mais qu’attend-t-il ? ». Le travail législatif est au point mort depuis des mois, le Conseil Supérieur de la Fonction Publique ne se tient plus, les commissions administratives paritaires destinées à promouvoir les carrières des agents ne se réunissent quasiment pas… Alors si la revalorisation de l’indice doit attendre le travail législatif mentionné, autant dire qu’il ne se passera rien.
Enfin, il nous fut expliquée la nécessité de faire des économies avec comme source potentielle, le retour en grâce des jours de carence. Dans le poncif du gouvernement, les fonctionnaires abusent des arrêts maladie, cela coûte très cher et il est temps d’y mettre fin. La violence au travail dans notre administration semble donc un pur concept. Les arrêts maladie seraient abusifs et le rétablissement des jours de carence apparaît comme le moyen de remettre de l’ordre dans tout cela. Comme quoi d’un bord à l’autre de l’échiquier politique les idées préconçues ont la vie dure.
Un discours gouvernemental peu audible
Face aux propositions des syndicats, le gouvernement affiche sa volonté d’une grande rigueur budgétaire.
Sur le papier l’approche est louable, sauf que les rémunérations des ANFA continuent d’être indexées sur l’inflation, que celles des FEDA sont revalorisées dès lors qu’une augmentation est décidée dans la fonction publique d’Etat. Les régimes indemnitaires coûtent chers et ils créent de profondes inégalités. Pour autant, aucune réelle volonté politique de s’attaquer au sujet et de mieux redéployer le budget du Pays. In fine, les fonctionnaires territoriaux semblent les seuls à devoir faire les frais de la rigueur budgétaire.
Enfin, le regard sur les catégories A de l’administration interroge. A écouter le gouvernement et à observer les graphiques qu’il présente, nous avons la sensation que les cadres A seraient surrémunérés, qu’ils profiteraient de tous les avantages et que ce sont eux qui engloutiraient la masse salariale de manière injustifiée.
Pour autant notre administration est déstructurée. Les catégories B, C et D sont très majoritaires et les catégories A en nombre limité au regard de la taille de l’administration. La Chambre Territoriale de la Cour des Comptes a pointé du doigt ce déséquilibre qui porte préjudice au fonctionnement de l’administration. Elle recommande de modifier drastiquement cette structure en augmentant fortement la proportion de cadres A.
Par cette approche, le gouvernement sous-entend qu’il considère l’administration comme un instrument de politique sociale. Dans toutes les économies développées du monde, l’administration doit rendre le meilleur service au moindre coût. Elle n’est donc pas un instrument de politique sociale.
Vingt années impossibles à rattraper
Il est de plus en plus évident qu’il ne sera jamais possible de rattraper la perte de pouvoir d’achat subie par les fonctionnaires. Il est donc illusoire de penser que l’évolution du point d’indice viendra un jour affleurer celle de l’inflation. Nous ne caressions pas cet espoir, raison pour laquelle notre analyse reposait sur une augmentation de 8,5 % pour un budget d’environ 3,5 milliards de F.CFP supplémentaires.
Sur le plan du chiffre, il serait possible comme A Tia I Mua de se satisfaire des 1,9 % obtenus. Seulement pour afficher pareil optimisme il faut supposer que dorénavant il sera possible d’obtenir chaque année un peu plus que l’inflation.
Pour préempter sur l’avenir, il est alors important d’analyser la façon dont ces négociations se sont tenues. Une absence de considération pour les fonctionnaires, une vision chargée de préjugés, une approche dans laquelle l’administration sert de politique sociale… tous ces éléments concourent à faire preuve de pessimisme. En ajoutant à cela un immobilisme législatif difficilement imputable à autre chose qu’un manque de volonté politique et le tableau se ternit sérieusement.
Avec l’ancienne majorité nous n’attendions rien car par essence nous savions qu’il n’y avait rien à attendre. Leur mépris pour la fonction publique s’affichait ouvertement, parfois même avec cynisme. Avec cette nouvelle majorité existait alors une attente.
La déception ne vient pas des 1,9 % obtenus. Dans une négociation on obtient rarement ce que l’on souhaite vraiment. De plus, le gouvernement pouvait parfaitement nous annoncer 0 et nos moyens d’action restaient alors très limités. Le résultat lui-même n’a donc rien de trop décevant.
La déception vient du regard porté sur notre administration et de ces préjugés véhiculés. Elle vient aussi de ce parallèle tendancieux entre la situation sociale dégradée du Fenua et le cadre de travail supposé privilégié des fonctionnaires. Nous n’avions pas besoin de cet étalage pour être conscient de la misère que nous côtoyons chaque jour. Quels autres acteurs économiques ont accepté une baisse de leur pouvoir d’achat de 20 % pour favoriser la redistribution de la richesse vers ceux que le gouvernement choisissait, riches ou pauvres ?
Les « privilèges » des fonctionnaires sont tels qu’ aujourd’hui la fonction publique peine à recruter et encore moins les meilleurs profils. La violence est telle dans l’administration qu’elle s’étale dans la presse. La redistribution des richesses vers les plus démunis est telle que la défiscalisation qui ne crée pas d’emploi absorbe environ 6 milliards par an pour grossir le patrimoine des plus nantis.
Le dialogue social s’étiole, se désagrège et malheureusement, sauf changement de paradigme, on voit mal ce qui pourrait le ramener vers plus d’efficacité et de rationalité.
Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.