Je m’appelle « Turo », prénom d’emprunt cela va de soi, et je suis agent de la Direction de l’Equipement. Mon quotidien se déroule loin des bâtiments administratifs, car mon bureau est une petite cabine non climatisée dans un tractopelle. Un arbre tombé sur la route, une rivière qui déborde, un pan de montagne effondré, un camion qui se renverse sur la route, et ce sont mes collègues ou moi que l’on envoie.
J’ai à la base les mêmes horaires que bien des fonctionnaires, le fameux 7h30-15h30. Sauf que pour moi, ces horaires sont essentiellement théoriques et qu’ils s’allongent régulièrement au gré des intempéries et des accidents. J’interviens parfois bien avant 7h30 et souvent le soir, voire la nuit, bien après 15h30. Ce n’est pas tous les jours heureusement, mais c’est assez récurrent. Mon quotidien ne correspond pas vraiment à ce que l’on imagine d’un fonctionnaire assis confortablement dans un bureau climatisé, devant son ordinateur, et qui s’en va dès que 15h30 a sonné.
Mes interventions comprennent des risques. Deux de mes collègues sont morts entre 2023 et 2024 dans l’exercice de leurs fonctions. Dégager une route sous la pluie et / ou sous la menace d’un pan de montagne est loin d’être une activité sans risque. Curer les rivières pendant des pluies torrentielles et lorsqu’elles débordent est loin d’une petite baignade dans la Papenoo par temps calme. De jour comme de nuit, samedis et dimanches comme les jours de semaine, mes collègues et moi nous exposons pour simplifier la vie de nos populations. Nous ne sommes pas les plus visibles, mais nous effectuons le travail.
Depuis le début de l’année, une nouvelle réglementation est entrée en vigueur pour gérer nos astreintes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les personnes qui ont pondu ces textes n’ont aucune idée des risques que nous prenons. Elles semblent considérer que nos interventions s’apparentent à de petites balades, raison pour laquelle le niveau d’indemnisation est particulièrement bas. Le dédommagement atteint 800 F.CFP pour une nuit en semaine et 900 F.CFP le week-end. Quand il ne se passe rien, on reste planté chez soi le téléphone à porté de main pour moins de 1 000 balles. Mais lorsqu’il se passe quelque chose, on va prendre des risques pour le même montant.
Ce ne sont pas les membres du gouvernement qui interviennent pour dégager les arbres, les pans de montagne, ou les rochers qui bouchent les rivières… Facile pour eux de m’obliger à prendre des risques pour 1 000 balles ! Car oui, la règle est ainsi faite… nous sommes obligés, nous n’avons pas le choix !
Seuls ceux qui habitent un peu loin échappent au dispositif car ils mettraient trop de temps pour intervenir. Mais nous qui vivons au fond de la Tipaerui, de la Mission, de la Fataua, ou entre Arue et Punaauia sommes contraints.
Une intervention, c’est environ 3 ou 4 heures de travail. L’indemnité rapportée au temps de travail représente alors au maximum 300 F.CFP de l’heure ! Je me demande si c’est bien légal de payer des salariés aussi peu, surtout pour un travail supplémentaire réalisé en dehors des heures de travail, souvent la nuit ou le week-end !
Sont-ils nombreux les fonctionnaires payés 300 F.CFP de l’heures pour des heures supplémentaires ? Je suis un agent de catégorie D, donc parmi les plus bas salaires de l’administration. Autant dire que ce qui compte pour moi, ce ne sont pas les deux heures de récupération dont je vais bénéficier pour chaque nuit passée en astreinte… Ce qui compte pour moi c’est de pouvoir offrir un petit plus à ma famille. Le fameux « Travailler plus pour gagner plus » ! Là, ça devient travailler plus pour la gloire. Et quelle gloire ! Mes collègues décédés ont été vite oubliés. Rien n’a particulièrement changé, et on se demande quelles sont les leçons tirées de leur drame.
Lorsqu’une réglementation est établie pour des agents qui prendront des risques, par des personnes qui passent leur vie dans un bureau climatisé, il serait judicieux que celles-ci partagent pendant quelques temps notre quotidien… Qu’elles se lèvent au beau milieu de la nuit, partent sous la pluie, s’assoient dans le tractopelle, et entendent le bruit sourd des cailloux qui heurtent l’engin, le grondement de la montagne qui menace, ou encore les cracs des branches des arbres qui peuvent céder à tout instant.
Qu’elles ressentent ce frisson, cette peur parfois. Après seulement qu’elles viennent nous dire si nos interventions valent 1 000 balles. Qu’elles appellent un dépanneur ou un garagiste la nuit pour tracter ou réparer leur voiture et qu’elles leur proposent 1 000 balles pour leur intervention ! J’aimerais être là pour voir la tête du dépanneur ! Sans aucun doute que le chemin se terminera à pied.
Mea ma, peut-être est il temps d’avoir un peu de considération pour nous, vous ne pensez-pas ? Vous qui ne serez sans doute jamais dérangés au milieu de la nuit pour pondre en urgence « une nouvelle réglementation », ne pensez-vous pas que vous avez poussé le bouchon un peu loin ?
Voilà ! Par mon métier, je suis un fonctionnaire un peu différent des autres agents de l’administration.
Je vis très mal le fait que mes nuits soient aujourd’hui bloquées pour 1 000 balles et d’être parfois contraint de travailler dans des conditions pénibles pendant que les autres dorment paisiblement.
Le travail réalisé en dehors des heures normales devrait être payé comme des heures supplémentaires. Mes collègues et moi avons la mauvaise sensation que cette nouvelle règlementation vient « habilement » contourner l’obligation de rémunération des heures supplémentaires.
Comme quoi dans le secteur public, on est parfois moins bien loti que dans le privé !