En octobre de cette année, les derniers textes relatifs au télétravail ont été adoptés. Il semble cependant manquer « la charte du télétravail » que devront adopter tous les comités techniques paritaires.
Ainsi, la délibération 2024-96 APF du 17 octobre 2024 et l’arrêté 1973 CM du 31 octobre 2024 sont venus compléter la loi du Pays 2022-38 du 10 novembre 2022.
Tout cela vous semble technique n’est-ce pas ? Vous vous demandez ce que cela peut avoir changé ? Eh bien la réponse est tout !
Fini la souplesse
Jusqu’à fin octobre 2024, n’existait que la loi du pays qui ouvrait le droit au télétravail dans notre administration. Ce droit existait donc et tout agent pouvait en bénéficier.
Sans délibération et sans arrêté d’application, tout était laissé aux négociations entre agents et chefs de services. Bon nombre de services ou établissements ont fonctionné ainsi sans que cela pose le moindre problème. Pas de règle particulière, juste la responsabilité des chefs de service et celle des agents. De la bonne intelligence, et de la vigilance. Les chefs de services, responsables de ce qui est produit, n’avaient absolument pas intérêt à ce que leurs agents manquent d’efficacité une fois placés en télétravail. Objectifs, calendrier, points d’étape… la rationalité au service de l’efficacité.
Les détracteurs du dispositif vociféraient que sans les textes encadrant le dispositif, celui-ci n’était pas applicable. Nous allons voir que malheureusement, grâce aux textes qui l’encadrent aujourd’hui, le télétravail devient réglementairement bien compliqué, du moins facile à refuser.
Un texte adopté dans sa version la plus dure
Lors de la réunion du Conseil Supérieur de la Fonction Publique où le texte fut débattu, notre syndicat avait apporté des amendements pour préserver les droits des fonctionnaires.
Ainsi nous avions obtenu que tout agent se voyant refuser le télétravail par son chef de service pouvait saisir la Commission Administrative Paritaire de son cadre d’emploi s’il jugeait ce refus excessif. Il s’agissait ainsi de pouvoir contre-carrer les dérives « autoritaires » de chefs de services philosophiquement opposés à cette forme de travail.
Car le télétravail consiste bien à travailler, contrairement à ce que beaucoup imaginent ou tentent de faire croire.
Cette proposition qui faisait consensus a été écartée dans le texte adopté. Il n’y a donc plus aucune voie de recours pour les agents.
Votre chef de service ou directeur d’établissement vous refuse le télétravail ? Tant pis pour vous !
Dans un autre service, un directeur l’accorde à des agents globalement dans la même configuration que vous ? Tant pis pour vous et tant mieux pour eux. Mutez ! Vous êtes juste au mauvais endroit.
Les amendements que nous proposions pour favoriser le télétravail ont été totalement abandonnés dans la version proposée par le gouvernement et adoptée par l’assemblée.
Les exigences informatiques qui encadrent la possibilité du télétravail sont aujourd’hui telles que tout chef de service ou directeur d’établissement peut aisément vous refuser ce droit.
Il lui suffit par exemple de considérer que votre anti-virus n’est pas suffisant, que votre suite office 365 n’est pas compatible avec l’open office utilisé par votre service, qu’une application comme Mata Ara, le logiciel de courrier, n’est pas installée sur votre machine, tout comme PolyGF… et c’est fini !
Plus simple encore, votre service ou établissement n’est pas en mesure de mettre à votre disposition un PC portable… Dès lors, votre tour mise à disposition par le service informatique ne peut pas être déplacée. C’est ballot, mais cela suffit à vous rendre inaccessible au télétravail !
Comme vous pouvez le constater, ce qui était possible et fluide avant toutes ces nouvelles dispositions réglementaires, devient lourd, compliqué et bloquant.
Pas plus de deux jours de télétravail par semaine
La délibération adoptée consacre l’impossibilité de faire plus de deux jours de télétravail par semaine, ou deux semaines par mois. Aucune disposition n’a été retenue pour autoriser des agréments plus favorables entre directions et agents. Pourtant nous l’avions proposé au conseil supérieur de la fonction publique.
Les seules dérogations accordées concernent des préoccupations de santé dans l’entourage de l’agent.
Il est fort regrettable qu’une nouvelle fois notre réglementation vienne tuer la bonne intelligence. Ce qui compte en réalité, c’est que le travail soit fait et que les missions du service soient réalisées.
Si un chef de service considère qu’il est plus rentable pour le service qu’un agent soit trois ou quatre jours par semaines en télétravail plutôt que deux, il sera contraint de violer la loi ! Prendra-t-il ce risque ?
Préparez vos documents !
Pour accéder au télétravail, il vous faudra présenter une attestation d’assurance garantissant que vous pouvez travailler à domicile, une attestation d’internet à haut débit, et la justification d’un espace dédié au télétravail.
Sur ce plan, il paraît rationnel que l’administration impose aux agents désireux d’être placés en télétravail de justifier d’un minimum de garanties.
Le problème est que la notion de « haut débit » est laissée à l’appréciation du chef de service ou directeur d’établissement.
Certains exigeront la fibre pendant que d’autres considèreront qu’une ligne ADSL de 8 Mo est largement suffisante.
Plus contraignants encore sont les délais. Il vous faudra réaliser une demande par écrit plus d’un mois avant la période durant laquelle vous souhaitez mener votre activité en télétravail.
De manière asymétrique, votre direction disposera d’un mois pour vous signifier son positionnement. Dès lors, si vous n’anticipez pas, c’est la veille du jour où vous aviez planifié d’être en télétravail que votre hiérarchie pourrait vous indiquer son refus.
Fini les imprévus. Ils ne sont plus acceptés réglementairement. Si votre chef de service ou directeur d’établissement valide des demandes « express », il le fait désormais en infraction de la réglementation !
Le refus de la bonne intelligence
Cette façon de tout réglementer déresponsabilise les chefs de services et directeurs d’établissement, tout comme elle infantilise d’une certaine façon les agents.
Les méthodes modernes de management qui fonctionnent sont basées sur la confiance et la bonne intelligence. Elles sont aussi fortement appuyées par un système de responsabilisation dans lequel chacun doit assumer les conséquences de ses actes. La sanction n’est donc jamais loin.
Un agent placé en télétravail qui ne réalise pas ce qui lui est demandé dans les délais impartis est logiquement sanctionné. Il peut alors dire adieu au télétravail.
Un chef de service ou un directeur d’établissement qui laisse en télétravail des agents qui ne produisent rien, devrait logiquement lui aussi être sanctionné par sa tutelle. Cependant, dans la réalité il n’en est rien.
En ce qui concerne le télétravail, ce système de bonne intelligence et de responsabilisation s’était instauré au travers de la mise en œuvre de la seule loi cadre qui introduisait la possibilité du télétravail dans l’administration… sans en réglementer son organisation.
Que le gouvernement ne dise pas qu’il n’était pas au courant de nos amendements, nous lui avions confié notre analyse des textes et nos propositions bien avant le passage devant l’assemblée.
Une réglementation qui interroge sur le type de management que nous souhaitons
Sans doute serait-il temps que notre administration responsabilise les uns et les autres par une absence de réglementation trop rigide.
La codification de tout finit par déresponsabiliser les uns et les autres qui se réfugient alors systématiquement derrière un texte et surtout l’interprétation qu’ils en font.
Pour beaucoup de hiérarchies, c’est « pas de vague, pas de risque, pas de changement, pas d’évolution ». Un simple « ce n’est pas moi, ce sont les textes » et tout reste dans l’ordre. Derrière pareille attitude il y a le refus du risque qu’impose pourtant la position et la fonction ! Car un dirigeant et quelqu’un qui s’expose à la critique par les décisions qu’il prend. Tel est le principe.
En tentant de tout contrôler dans les textes, on détruit cette part du risque qui fait la distinction entre les bons et les mauvais dirigeants. Avons-nous besoin de hiérarchies qui ne prennent que très peu de risques et qui se réfugient derrière des arguments comme « ce sont les textes » ?
Combien de fois avons-nous assisté à des sanctions disciplinaires ciblant uniquement des agents alors que la responsabilité de la faute était indirectement partagée par leur hiérarchie ? Le regard se porte uniquement sur la faute, mais jamais sur le contexte qui l’a permise. Or le contexte est de la responsabilité des chefs de services et directeurs d’établissements !
Des chefs de service très protégés et des agents qui trinquent
Dans le cadre du protocole d’accord que nous avons signé à la suite de notre préavis de grève, nous avons soulevé dans nos discussions l’absence de sanction à l’encontre des chefs de services et directeurs d’établissements qui ne remplissent pas leurs obligations.
L’absence de dispositif répressif pour ces responsables hiérarchiques fait en sorte que c’est systématiquement l’agent, et uniquement lui, qui souffre de comportements inacceptables de sa hiérarchie.
Qu’un chef de service ne note pas ses agents… et ce sont les agents qui seront écartés du dispositif des mois de bonification.
Qu’un chef de service ne remplisse pas les dossiers de ses agents conditionnant à la promotion interne… et ce sont les agents qui se voient refuser leur passage en catégorie supérieure.
Dans le cadre du télétravail, qu’un chef de service refuse le dispositif pour des motifs fallacieux… et l’agent n’a aucun droit de recours. C’est lui qui en subit les conséquences.
Cette asymétrie de traitement que nous dénonçons depuis de nombreuses années devient difficilement acceptable aujourd’hui.
Il y a quelques semaines à peine, d’excellents agents de catégorie B occupant des postes à responsabilité ont été écartés de la promotion interne en catégorie A, simplement par ce que leur chef de service a eu la fainéantise de remplir leurs dossiers. Tristement cela ne choque pas nos ministres.
Les notations 2023 ont eu lieu (normalement depuis mars 2024), et bon nombre d’agents n’ont pas été notés. Ils seront écartés de toute bonification et cela ne choque toujours pas.
Il est grand temps que les chefs de services et directeurs d’établissement puissent subir une suspension de rémunération de trois mois lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations.
Personne ne les force à occuper ces fonctions. Il n’y a pas que des droits lorsque l’on est chef de service ou directeur d’établissement ! Il y a surtout des devoirs et des obligations, notamment vis-à-vis des agents.
Des textes qui reflètent un état d’esprit
Les derniers textes qui ont été adoptés pour réglementer le télétravail reflètent un état d’esprit dont notre administration a bien du mal à sortir.
Il semble exister une forme de défiance de la part de nos gouvernants vis-à-vis des agents publics. Paradoxalement, les chefs de service jouissent quant à eux d’une grande protection. Mais les préjugés sur les fonctionnaires sont tenaces.
N’a-t-on jamais pensé que c’est peut-être notre réglementation poussée à l’extrême et ce souci de tout légiférer dans le détail à outrance qui a contribué à créer et amplifier cette caricature ?
A force de restreindre et contraindre les dispositifs qui imposent le recours à la bonne intelligence, à la négociation, à l’intelligence collective et à la responsabilité des chefs de service, on a peut-être simplement fini par faire disparaître ces qualités essentielles…
Nous profitons de ces derniers jours de 2024 pour vous souhaiter de très bonnes fêtes de fin d’année.
Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.