Je suis Assistante Socio-Educative au 6ème échelon. J’exerce depuis 10 ans au sein de la Direction des Solidarités, de la Famille et de l’Egalité. Je m’occupe chaque jour des laissés pour compte, de ceux qui n’ont plus rien et qui dans leur détresse n’ont plus que nous auprès de qui se raccrocher.
En dix ans mon métier a bien évolué, car la réglementation nous impose régulièrement de nouvelles dispositions. Des possibilités nouvelles s’ouvrent et d’autres se ferment. Je dois être en constante veille de ce qui existe et des textes qui régissent notre métier. Je suis au départ bac + 2, donc cadre B. Cependant, mon quotidien m’a imposé bien des évolutions qui font en sorte que je peux sans difficulté rivaliser aujourd’hui avec des bac + 3, donc des cadres A.
D’ailleurs, peu de temps après ma sortie de formation, celle-ci est passée de deux années post bac à trois. Ce n’est pas pour rien. J’avais déjà bien senti que le programme s’était intensifié, condensé et que l’on tentait désespérément et maladroitement de faire rentrer une formation de trois ans en seulement deux.
Je suis aujourd’hui à la fois rédactrice, comptable, analyste financière, psychologue, chercheuse d’emploi, de logement, de familles d’accueil et de solutions immédiates. Je suis aussi devenue une éponge car je dois absorber la violence quotidienne qui se déverse sur moi de la part de personnes qui, compte tenu de leur détresse, pensent qu’ils ont droit à tout et sans délai. Ce n’est pas par hasard qu’aujourd’hui des agents de sécurité sont présents dans nos services et parfois dans certaines circonscriptions.
Sont-ils nombreux les fonctionnaires qui doivent aller travailler sous protection ? Sont-ils nombreux à rejoindre leur lieu de travail avec parfois la peur au ventre de se prendre un pain comme l’un de mes collègues il y a quelques mois… juste parce qu’il ne trouvait pas de solution immédiate ?
Rédaction de rapports, estimations financières, analyses des situations socio-économiques, psychologie avec ces personnes en détresse, gardienne de jour comme de nuit, car dans ce métier, le temps ne se gère pas comme ailleurs. Lorsque sonne 15h30 dans le service, alors qu’ailleurs bien des agents rentrent chez eux, la détresse continue de frapper à la porte de mon bureau et à sonner sur mon téléphone.
Il n’est pas rare que pour préserver la sécurité d’une femme, d’un enfant je sois amenée à intervenir en dehors de mes heures de travail, sur simple demande d’une autorité qui a conservé mon contact.
Dès 2019 dans l’hexagone, l’administration a reconnu que notre formation et nos compétences relevaient d’un bac + 3 et elle a immédiatement requalifié notre corps de métier en catégorie A avec une substantielle progression salariale.
Cinq ans plus tard, il semble enfin que notre statut de cadre A soit en passe d’être reconnu. C’est une avancée, certes. Le projet de texte propose une nouvelle grille salariale très alléchante pour les nouveaux entrants, mais un mode de reclassement qui n’apportera quasiment aucun changement pour les anciens que nous sommes.
Elle affiche tellement peu de différence que mon reclassement en catégorie A se fera au même indice que celui sur lequel je suis aujourd’hui rémunérée. Je vais donc passer de catégorie B à catégorie A sans aucune reconnaissance salariale ! Oui, vous avez bien lu…
Face à ce projet, je me sens humiliée, méprisée, dégoûtée.
Qui sont ces technocrates qui rentrent paisiblement chez eux le soir sans crainte, qui ont pu penser pareil texte ? Qui sont ceux, aveugles ou imbéciles, qui ont accepté de le soutenir ? Accepteraient-ils, eux, de changer de catégorie pour la gloire ?
Moi, quand je rentre le soir chez moi, je continue à m’inquiéter pour Hereiti qui a 6 ans et que l’on a retirée d’un foyer violent. Je suis soucieuse de Maeva, 27 ans, qui m’a partagé ses moments difficiles car son compagnon est violent. Je ne parviens pas à m’endormir après avoir écouté Moetini, 53 ans, qui a perdu son travail et qui cherche par tous les moyens à éviter que sa famille ne termine dans la rue.
A la fin je m’en moque totalement du fait d’être classée catégorie A, B ou Z. Ce qui compte, c’est que ma rémunération corresponde à mon investissement professionnel et personnel quotidien !
A la Direction des Solidarités, de la Famille et de l’Egalité, les défections sont nombreuses. Certains démissionnent et d’autres tentent leur chance dans les services de l’Etat qui ouvrent des concours pour des cadres comme moi. La rémunération y est bien supérieure à ce que l’on me propose ici et j’aurai la possibilité de rester au Fenua. Alors comme nombre de mes collègues, je vais tenter de ne plus être considérée comme un larbin ni prise pour une imbécile. Je mettais de l’espoir dans ce texte… j’en retire un goût amer.
Seuls les fonctionnaires tout fraîchement recrutés ces dernières années seront véritablement gagnants dans cette réforme. Eux qui viennent d’intégrer et que je supervise vont d’un seul coup se retrouver presque au même niveau de rémunération que moi ! Tant mieux pour eux, mais totalement démoralisant et démotivant pour les autres. Pour les anciens comme moi, c’est peanuts ! Et dans ma configuration, ironiquement, c’est le jackpot : aucune revalorisation !
Mesdames et messieurs qui avaient proposé et soutenu ce texte et donc cette nouvelle grille salariale, faites en sorte de ne pas me croiser. Je ne tolèrerais ni votre regard ni vos explications vaseuses.