Le monde évolue, mais notre réglementation a bien du mal à suivre la cadence. Ainsi, bien des cadres d’emploi ont évolué au fil du temps sans aucune reconnaissance par nos textes.
Plus techniques, plus pointus, ils nécessitent aujourd’hui des formations plus poussées qu’au moment de l’instauration de la fonction publique en 1995. Pour autant, nos textes sont restés globalement figés.
Une règle assez simple au départ
De manière très résumée, nos textes positionnent les agents dans 4 catégories selon les niveaux d’études requis.
Minimum inclus | Maximum exclu | Catégorie |
– | BEPC | D |
BEPC | BAC | C |
BAC | Licence | B |
Licence | – | A |
Cette répartition fut fixée en 1995 lors de l’instauration du statut de la fonction publique et depuis, elle n’a jamais évolué.
Valable en 1995, mais plus maintenant
Si ces textes reposaient sur une analyse valable en 1995, ils ne sont plus en correspondance avec la réalité actuelle.
Bien des formations ont ainsi évolué et ne sont plus accessibles par de simple bac + 2. C’est le cas notamment des infirmiers(ères) diplômés d’état (IDE), des infirmiers(ères) anesthésistes diplômés d’état (IADE) et des assistants(es) socio-éducatifs(ves).
Il existe sans doute bien d’autres cadres d’emploi, mais ces derniers sont très parlants et symptomatiques d’une administration sclérosée.
Dans ces trois cadres d’emploi, le Pays peine à recruter alors qu’il s’agit de secteurs particulièrement sensibles.
D’une part le monde de la santé, et plus particulièrement celui de l’hôpital, est en crise faute de personnel soignant. D’autre part, dans une configuration sociale ou 30 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, le Pays ne parvient pas à recruter des travailleurs sociaux. Ces derniers préfèrent logiquement se tourner vers des services de l’Etat où ils sont reconnus à leur juste valeur avec des rémunérations adaptées.
On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre…
Pour un individu, il est bien évidemment rationnel d’opter pour l’employeur qui, à travail égal, accorde la meilleure rémunération.
Comme notre administration n’a jamais su s’adapter, elle continue depuis des années à rémunérer en catégorie B des agents aujourd’hui dotés au minimum d’une licence.
Tel est notamment le cas des infirmiers(ères), infirmiers(ères) anesthésistes et assistants(es) socio-éducatifs(ves). Il est donc normal que ces professions non reconnues à leur juste valeur depuis tant d’années soient en crise.
Concernant les infirmiers anesthésistes diplômés d’état, la reconnaissance d’un niveau catégorie A est intervenue dès 2002, suivie d’une réévaluation au grade Master II (Bac + 5) dès 2014 dans l’hexagone. Pour les infirmiers diplômés d’état, leur évolution de la catégorie B vers la catégorie A est actée depuis 2010. Nous n’avons donc… qu’une quinzaine d’années de retard, et encore.
Dans la filière sociale, cette reconnaissance remonte au 1er janvier 2019 dans l’hexagone, il y a presque 6 ans. Pourtant, les formations initiales de ces travailleurs sociaux se déroulent sur le Territoire (à l’ISSEP et la Croix Rouge). Difficile donc de penser que les dirigeants du Pays ne sont pas informés…
Il est alors logique après tant d’années d’attente que ces agents publics soient fortement exaspérés et ressentent une injustice profonde au regard de leurs niveaux de qualifications, de compétences accrues, et d’une rémunération pathétiquement stable.
Ne les prenons pas pour des ignorants. Ils sont parfaitement informés du reclassement dont ont bénéficié leurs homologues hexagonaux. Cependant, dans un contexte économique moribond, ils ont accepté leur sort avec beaucoup de civisme.
Seulement faute d’attractivité, leurs conditions de travail se sont considérablement dégradées. Santé et social sont deux secteurs où la demande de service public a particulièrement progressé et où paradoxalement l’offre s’est restreinte faute de personnel et de reconnaissance statutaire.
Pour contenir l’hémorragie de personnel dans le social, le gouvernement vient d’accorder, à la demande de notre syndicat, des Indemnités de sujétions spéciales (ISS) aux travailleurs sociaux. Mais dans sa grande « générosité », ces ISS s’apparentent plus à de l’aumône qu’à de la reconnaissance. Compte tenu des montants accordés, l’hémorragie ne sera vraisemblablement pas contenue.
Dans la santé, il est logique que les infirmiers(ères), anesthésistes ou non, préfèrent un secteur privé plus rémunérateur.
La crise de ces deux secteurs est donc avant tout le fruit d’une sclérose de notre administration qui n’a pas su scruter l’évolution du monde qui l’entoure.
Des textes en gestation
La CSTP-FO et notre syndicat se sont emparés du dossier. Nous avons remis au gouvernement des projets de réformes clef en main afin que ces agents de formation minimale bac + 3 soient reconnus comme des catégories A avec une grille de rémunération idoine.
Malheureusement, notre administration peine à enclencher la machine législative. Un seul de ces textes sera présenté au prochain conseil supérieur de la fonction publique le 5 novembre prochain. Les autres attendront sans doute décembre, si aucun changement n’intervient d’ici là ! Pour autant, ces textes sont près depuis déjà plusieurs mois…
Dans le domaine de la santé, la situation semble faire globalement consensus entre syndicats et gouvernement, même si des surprises sont toujours possibles sur l’ajustement des grilles salariales.
Les organisations syndicales ont de quoi s’inquiéter car le premier texte présenté (relatif au reclassement des Assistants Socio-Educatifs en cadre A), s’apparente davantage à un léger toilettage qu’à une véritable reconnaissance professionnelle. Existe même une situation absurde ou des agents cadres B au 6ème échelon passeraient cadres A… sans aucune augmentation de salaire !
Au-delà d’une grille salariale éloignée des attentes du personnel, la proposition du gouvernement lisse totalement la filière. Elle ne permet plus de distinction entre ceux qui conduisent des projets d’équipe et ceux qui endossent le rôle de responsable de bureau. Le projet de texte sonne pour l’heure comme un camouflet pour des agents qui, ne l’oublions pas, sont le dernier rempart avant la très grande précarité.
La confrontation est donc rude. Les syndicats souhaitent de leur côté une véritable reconnaissance du métier de travailleur social. Car ces agents se battent chaque jour pour remplir des missions lourdes qui requièrent davantage de disponibilité tout en assumant maintenant des responsabilités civiles et pénales. Leur formation bac + 3 est loin d’être usurpée. Le cadre réglementaire et social dans lequel ils évoluent est devenu bien plus technique pour répondre aux problématiques de violences, d’addictions et de grande précarité.
Impacts budgétaires vs services publics
Il est bien évident qu’une modification des grilles salariales impacte le budget du Pays. Mais peut on continuer à considérer les agents publics comme des larbins ?
Lorsqu’il s’agit des infirmiers(ères) anesthésistes, la réforme touche une trentaine d’individus. Elle est donc relativement circonscrite. Lorsqu’on touche aux travailleurs sociaux, la dimension est déjà plus large (une centaine d’agents). Mais lorsqu’on s’attaque aux infirmiers(ères), la dimension n’est plus la même et il est vrai que budgétairement cela commence à peser.
Le gouvernement oppose donc aux réformes un accroissement sensible du budget de la fonction publique qui se traduirait ensuite par une fiscalité plus importante sur les ménages.
Il est intéressant que le Pays ne regarde jamais du côté d’un système de défiscalisation qui jusqu’à présent n’a quasiment pas créé d’emploi et détourné des milliards d’argent public vers les poches du secteur privé ! L’argent public n’est-il pas en priorité destiné au service public ?
Doit-on permettre aux mêmes compagnies maritimes d’acheter tous les cinq ans de nouveaux bateaux avec de l’argent public ?
Doit-on permettre aux mêmes groupes hôteliers de construire/rénover tous les 5 ans leurs infrastructures avec de l’argent public ?
Doit-on permettre aux mêmes groupes immobiliers de construire de nouveaux bâtiments avec de l’argent public sans que le prix de l’immobilier ne reste raisonnable ?
Peut-être est-il temps que cet argent public soit consacré au service public et plus particulièrement orienté dans les secteurs où il est le plus utile aujourd’hui : la santé et le social.
Demandez au contribuable s’il préfère de beaux bateaux dans lesquels il ne naviguera jamais, plutôt que d’être soigné rapidement et correctement ?
Demandez au contribuable s’il préfère de magnifiques hôtels dans lesquels il ne séjournera jamais, ou s’il préfère que le gouvernement joue son rôle d’amortisseur social afin de prévenir une délinquance aujourd’hui endémique.
Le gouvernement doit rapidement faire des choix car le climat social est de plus en plus difficile à contenir dans la fonction publique.
Si les économies budgétaires sont si cruciales à une heure où les caisses du pays sont relativement pleines, alors la solution est très simple. Il suffit d’abandonner des pans entiers du service public et d’accepter d’en assumer les conséquences.
Cependant, si l’on considère le service public comme important, alors on y apporte des solutions budgétaires en faisant des choix. C’est ce que nous proposons en réaffectant tout ou partie de l’argent de la défiscalisation qui est, rappelons-le, de l’argent public issu des contribuables, réorienté par les politiques vers quelques acteurs privés.
Des effets dominos
Lorsque certains agents anciennement cadres B se retrouvent revalorisés à juste titre cadres A, ceux qui sont cadres A se retrouvent alors à des niveaux de rémunération presque équivalents de ceux qu’ils encadrent.
Légitimement, ils réclament que leurs grilles de rémunération soient ajustées pour préserver le système hiérarchique existant.
Inversement, les cadres C et D se retrouvent à des niveaux de rémunération trop distants des anciens cadres B devenus cadres A, et rien ne le justifie. Ils souhaitent donc eux aussi être revalorisés.
Notre administration est comme une vieille tuyauterie. Lorsqu’on commence à réparer à un endroit, une fuite apparaît à un autre.
Nous sommes bien conscients du fait que madame la ministre en charge de fonction publique récupère un cadre dégradé. Bien avant sa prise de fonction, nous dénoncions déjà l’inaction des gouvernements qui s’étaient succédé et l’état de délabrement qu’ils avaient ainsi provoqué.
Nous ne pouvons aujourd’hui que saluer la volonté de réforme de la ministre actuelle qui ne fuit pas les dossiers. Elle les priorise, ce qui est légitime.
Cependant, comme dans toute vieille tuyauterie qu’il faudra inexorablement entièrement rénover, la vitesse d’action est primordiale, tout comme la nécessité de considérer la situation dans sa globalité !
La réforme complète de la fonction publique est inéluctable
Sans doute est-il aujourd’hui à la fois crucial et inéluctable de remettre à plat entièrement le statut de la fonction publique.
Et pour éviter les petites compresses sur des plaies béantes qui finissent par coûter bien cher, sans doute serait-il préférable de s’imposer un calendrier de réforme très serré et de grande ampleur.
Nous militons de longue date pour la création d’une commission de travail destinée à la réforme complète de nos textes et leur mise en conformité avec le contexte actuel.
Tout comme nous nous sommes montrés disponibles pour élaborer des textes, nous le serons bien davantage pour pareil chantier.
Sans le socle solide que constituerait un statut de la fonction publique adapté aux défis à venir, difficile d’élaborer des réformes constructives.
En cela, nous rejoignons parfaitement les préoccupations de Madame la Directrice Générale des Ressources Humaines, qui dresse le même constat que nous. Aplanir les inégalités, garantir de la fluidité, mettre en place une structure de veille législative, autant d’avancées et d’outils dont nos fonctionnaires ont aujourd’hui bien besoin.
Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.