Cette fois, je ne serai le relai d’aucune histoire vécue par un des agents de notre administration qui nous l’aurait confiée.
En septembre dernier, je suis allé à la rencontre d’agents qui travaillent dans des services que l’on visite peu. Certains sont à l’extérieur de la zone urbaine, d’autres sont en plein cœur de Papeete. Ils ont malheureusement en commun une vétusté du cadre de travail qui fait honte.
L’image du fonctionnaire qui travaille tranquillement dans son bureau climatisé est bien ternie par les conditions de travail de ces agents. C’est donc en ma qualité de secrétaire général du syndicat de la fonction publique que je vais relayer ce que j’ai pu constater.
J’ai eu honte…
Honte que notre administration et nos dirigeants laissent depuis tant d’années des situations d’hygiène et de sécurité se dégrader ainsi sans s’en soucier. Dans certains bâtiments, il est même miraculeux qu’il n’y ait pas encore eu d’accident mortel. Aussi, pourvu que le miracle perdure.
J’ai été impressionné par toutes ces personnes qui ont conscience que tout cela n’est pas normal mais qui pour autant ne se plaignent pas. Ces fonctionnaires discrets font preuve d’une résilience et d’une acceptance hors du commun.
Ainsi ai-je vu des escaliers tellement rouillés qu’on se demande comment ils peuvent encore tenir, des toilettes pour lesquels on inciterait volontiers nos enfants à se retenir, des bureaux sans clim sous une toiture en tôle, des pièces où l’étanchéité n’est pas garantie et où l’eau ruisselle non loin des prises de courant. Des câbles qui pendouillent, des dalles de plafond en dessous desquelles on vous invite à ne pas vous asseoir, des sceaux et des serpillères prêts au cas où la pluie viendrait, etc.
Nous avions déjà signalé les dispensaires qui accueillent des personnes déjà en mauvaise santé dans des conditions d’hygiène catastrophiques, lorsqu’ils ne menacent pas, tout simplement, de s’effondrer. Nous avons écrit au sujet de ses locaux supposés héberger nos fonctionnaires mais qui sont en réalité délaissés en raison de leur vétusté absolue.
Lorsque je visite des « bâtiments » du Pays, j’aime faire semblant de me perdre pour mieux comprendre l’endroit et souvent les rapports de force et de pouvoir qui s’y sont instaurés. C’est parlant.
Nos dirigeants sont-ils au courant de ces situations ? Les chefs de service ont-ils relayé ces situations à leur tutelle ? Nos dirigeants se sont-ils déplacés dans ces recoins peu prestigieux de notre administration ?
Comment a-t-on pu en arriver là ? Par quel défaut d’entretien a-t-on laissé ce patrimoine se dégrader ainsi ? Par quel désintérêt et quel mépris laisse-t-on les agents de notre administration travailler dans pareilles conditions ?
J’ai eu la sensation qu’existait une administration « d’en haut » dont la vie est bien distincte de celle d’une administration « d’en bas ». J’ai eu honte de ce profond décalage de traitement entre fonctionnaires, comme si le travail de certains méritaient des conditions de travail particulièrement « luxueuses » pendant que d’autres ne mériteraient que la misère. Et ce « luxe » commence ainsi parfois simplement avec un endroit bien propre, des murs non dégradés, une chaise assez confortable et une clim qui marche.
Et dire qu’à une époque on cherchait comment relancer l’économie à travers le secteur du BTP… alors qu’il suffisait de rénover et remettre aux normes bon nombre de nos locaux administratifs. Ce n’est pas bien prestigieux, ce n’est pas très visible, ce n’est pas « bling bling », mais au moins cela aurait été particulièrement utile.
Lorsqu’on questionne ces services sur l’existence du Document Unique de Prévention des Risques Professionnels, nous recevons en retour des regards interrogateurs : qu’est-ce que c’est ? Jamais entendu parler ! Y’a pas de ça ici ! Laissons le soin aux ministres de tutelle et aux chefs de service de prendre leurs responsabilités devant les tribunaux si jamais un drame survenait.
Et même lorsqu’on pense être dans un certain « luxe », il n’est pas rare d’y trouver des aberrations. Tel est le cas par exemple de la Direction de l’Environnement (DIREN) qui a été déménagée dans les locaux de l’ancienne vice-présidence, en face du Conseil Economique, Social, Environnemental et Culturel (CESEC). Un beau bâtiment originalement prévu pour accueillir une quinzaine de personnes qui se retrouve aujourd’hui occupé par une trentaine d’agents. Mieux encore, ce bâtiment est désormais destiné à recevoir du public compte tenu des missions de la DIREN.
Dans certains bureaux il a fallu installer des clims portatives avec des tuyaux qui évacuent l’air chaud à travers des fenêtres calfeutrées avec du carton et du tape. Ces clims font un bruit permanent qui à la longue pèse sur les nerfs. L’espace cuisine réglementairement dû aux 30 agents, mesure 2 m² avec un petit évier… Le bâtiment dispose pourtant d’une aile avec un grand réfectoire mais le ministre de tutelle et le Président ont depuis peu décidé de ne le mettre à disposition que de 11h30 à 13h30 ! Cette aile sert de débarras pour entreposer des meubles, des photocopieurs, etc… Ne blâmons pas le directeur qui, comme les agents, déplore la situation et aimerait bien pouvoir récupérer cette aile aujourd’hui inutilisée. Cependant, il semble que dans la logique politique il soit plus important d’entreposer des bureaux et des photocopieurs dans des bureaux climatisés que d’y répartir des agents ! Il n’est pas certain qu’en cas d’incendie tout le monde puisse évacuer à temps en raison des armoires et des étagères utilisées un peu partout pour tenter de cloisonner les espaces… ça fait peu sérieux quand ont sait que la DIREN délivre des autorisations d’ouverture basées sur le respect des normes de sécurité !
Notre administration dispose de multiples services en charge de tout et parfois de n’importe quoi. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas une entité dédiée à l’examen des bâtiments du Pays et qui soit responsable d’un immense programme de rénovation, de mises aux normes, notamment en matière d’hygiène et de sécurité ?
Si nos responsables rechignent à se déplacer, qu’ils mandatent des agents de notre propre administration ! Qu’il en soit tiré un programme de modernisation afin que nos fonctionnaires puissent continuer d’assurer leurs missions dignement, particulièrement lorsqu’ils accueillent du public.
Voilà donc ce que j’ai pu constater et j’en retire une certaine honte. Nous consacrons beaucoup de temps et d’énergie à la relecture de textes, de règlements, au point parfois de s’éterniser sur une virgule, sur une tournure de phrase. Pourtant, avant même la règlementation, des conditions de travail dignes sont parfois absentes et peu de textes s’en soucient !
L’absence de directives, d’initiatives, de contrôles, témoignent d’un mépris qui règne sur les conditions de travail de bien des fonctionnaires. Puisse ce message éveiller nos responsables.