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Cela n’aura échappé à personne que la fusion de services est dans l’air du temps dans notre administration.

Sans doute y a-t-il la volonté du gouvernement de se conformer aux recommandations du dernier rapport de la Chambre Territoriale de la Cour des Comptes (CTC) sur notre administration.

Fusion… mais pourquoi ?

La CTC avait considéré que le Pays disposait d’un trop grand nombre de services et notamment de services de petite taille. Elle recommandait ainsi d’intégrer ces petites unités dans des services plus grands aux missions proches.

Il est vrai que nous avions connu de profondes aberrations, comme un service créé de toutes pièces pour y placer un proche de l’ancienne majorité, service avec un directeur bien évidemment, mais aucun agent !

Le problème de la CTC est que son approche est essentiellement comptable et qu’elle se garde bien de faire la moindre proposition de regroupements, ni même de critères de regroupements. Elle n’en a même pas défini les garde fous car elle n’a pas poussé sa réflexion jusque-là.


Moins de services, c’est moins de chefs de services, c’est moins de locaux utilisés et donc moins de frais. Cependant, il s’agit d’une vision toute théorique.

Donner du sens… un concept trop oublié

Les regroupements de services doivent avoir du sens et favoriser des gains d’efficience. Cela est d’autant plus important qu’il faut du temps pour créer une « culture de service » à l’instar de la culture d’entreprise.

Lorsque différents services ont été regroupés pour constituer la Direction Générale des Affaires Economiques, on a mélangé en un laps de temps relativement court, des missions de contrôles avec des missions d’accompagnement. Le mélange des genres était tel qu’il a fallu à nouveau réorganiser cette nouvelle entité peu de temps après sa création en lui retirant certaines missions telles que la défiscalisation, les aides à l’export etc.

Une telle marche en arrière était prévisible pour qui se posait les bonnes questions, car malheureusement, certains regroupements n’ont pas de sens.

Ce n’est pas parce que deux services sont liés à la jeunesse ou à l’économie qu’ils sont forcément compatibles pour une fusion.

L’erreur à ne pas commettre est de réfléchir en termes de champ d’intervention. Il est bien préférable de penser les fusions de services selon des métiers… quels que soient les champs d’intervention.

DGRH + DMRA = DTI

La première fusion déjà actée et bien avancée est celle de la Direction Générale des Ressources Humaines (DGRH) avec la Direction de la Modernisation et des Réformes de l’Administration (DMRA). L’entité qui sortira de ce mariage forcé s’appellera dorénavant la Direction des Talents et de l’Innovation (DTI).

Bon coup de com’ puisque tous les agents de notre administration deviennent immédiatement par cette fusion… des « talents ». Avec un peu d’ironie, il ne devrait donc plus y avoir de procédure disciplinaire et un gain d’efficience considérable puisque tel est le propre des… « talents ».

Le problème est que la DMRA avait dans ses compétences la réalisation d’audits et de contrôles, une mission qu’elle devra sans doute abandonner au profit d’une nouvelle entité à créer. Serait-ce les prémisses d’un retour en force de l’IGAT (l’Inspection Générale de l’Administration Territoriale) que les moins jeunes d’entre nous ont déjà connue ?

D’après nos informations, dans la réalité de cette réorganisation, les départements ou bureaux de la DGRH resteront peu ou prou les mêmes et s’ajouteront simplement ceux de la DMRA. Il n’y a donc pas véritablement fusion.

Nous avons suggéré que dans le cadre des missions d’innovation, chaque bureau ou département de la DGRH soit pourvu d’un ou plusieurs agent(s) de la DMRA dont le rôle serait alors d’analyser les process et d’y proposer des pistes d’amélioration ou d’innovation. Une telle démarche devrait aussi s’accompagner de la création d’un département/bureau avec une vision plus transversale et globale en charge de la modernisation de nos textes et de notre organisation.

Les pauvres agents de la DGRH n’ont pas fini d’absorber un projet qu’on leur en colle un nouveau et pas des moindres. Cela est sans compter l’intégration de la paie au sein de la DGRH avec des agents de la Direction du Budget et des Finances (DBF)…

Les primes, un obstacle supplémentaire

Comme chacun le sait, les agents de certains services bénéficient de primes et autres avantages financiers. Cette situation se révèle un véritable obstacle à la fusion de certains services puisque le risque de perdre ce bonus est réel.

Tel est justement le cas par exemple des agents de la Direction du Budget et des Finances qui vont être intégrés à la DGRH pour assurer les paies. A la DBF il y a prime et à la DGRH il n’y en a pas ! Dès lors, ça coince.

Ces agents perdront-ils leurs primes ? En accordera-t-on aux agents de la DGRH qui travailleront sur le sujet alors que leurs collègues n’en perçoivent pas ? Il semblerait que les agents de la DBF qui accepteraient de rejoindre la DGRH pour assurer les paies ne soient pas légion… rationnellement, cela se comprend. N’aurait-on pas mis la charrue avant les bœufs ?

Il aurait semblé logique de mettre à plat le régime indemnitaire avant de se lancer dans des fusions de services. Il est évident qu’il s’agit là d’un vaste chantier mais qui inéluctablement devra être abordé.

Sans doute serait-il d’ailleurs préférable de l’aborder maintenant. Il faut certes du courage pour s’attaquer aux avantages acquis par quelques services, mais cela semble aujourd’hui un préalable nécessaire à la fusion des services.

Rassembler des métiers et non des champs d’intervention

Comme évoqué au début de cette lettre, il semblerait plus logique de regrouper des métiers au sein de grandes entités.

Schématiquement, en dehors de la santé et de l’éducation qui sont des champs très spécifiques, notre administration dispose de missions de contrôles, de distribution d’aides et de subventions, de gestions de répertoires administratifs liés à des obligations réglementaires ou financières et d’octrois d’autorisations. Il existe sans doute bien d’autres missions, mais il n’y a pas lieu de chercher à toutes les décliner ici.

Les contrôleurs, quel que soit leur domaine d’intervention, exercent le même métier. Sans doute notre administration y trouverait-elle des gains d’efficacité à rassembler des métiers de contrôles. Les informations recueillies par certains contrôleurs dans un cadre spécifique (hygiène, sécurité) pourraient servir d’autres contrôleurs dans d’autres domaines (économique, fiscal). Cela permettrait de mieux cibler les contrôles, de les accroître et peut-être, de faire mouche presque à chaque fois vis-à-vis de ceux qui ne respectent pas la règlementation. L’assermentation de certains permettrait également des contrôles plus larges dans les îles éloignées.

Les distributeurs d’aides et de subventions pourraient aussi partager leurs informations. Cela éviterait que les mêmes personnes ou entités bénéficient de multiples aides pendant que d’autres, moins habiles avec les rouages administratifs, en soient écartées. Le partage de l’information permettrait alors de mieux gérer les budgets dédiés au soutien des entreprises et / ou des personnes.

Les regroupements par métiers offrent des synergies que les regroupements par champs d’intervention n’offrent pas.

Ce n’est pas un hasard si peu de temps après la fusion des services ayant conduit à la Direction Générale des Affaires Economiques, il fallut déconstruire l’assemblage. Certains mélanges des genres ne sont pas souhaitables et les conflits d’intérêts peuvent être démultipliés.

Jeunesse et sport… un bon exemple

Le projet de fusion des services qui entoure la jeunesse et les sports est assez symptomatique. Le projet aura au moins permis une passe d’armes au sein du gouvernement ainsi qu’une agitation syndicale offrant l’opportunité à certains de rappeler qu’ils existent.

Dans ce projet, la question centrale n’a jamais été posée : « Quelle politique pour la jeunesse souhaite-t-on ? » Quelles sont les projets ? Sont-ils d’ordre structurels (des équipements), éducatifs (encadrement), préventifs, etc. ?

Et espérons qu’aucun décideur ne réponde « un peu tout ça à la fois » ! Car à courir simultanément après plusieurs lièvres, on n’en attrape aucun. Par ailleurs, cela dessine une politique illisible et peu cohérente.

Et c’est là que le problème existe pour les agents publics. A force de ne plus comprendre quel est le cap et ne plus trouver de cohérence, leur métier perd de sons sens.

La réticence des agents publics devant les fusions de services est souvent une réaction à l’absence de cohérence et de compréhension des politiques publiques.

Fusionner des services dans le seul objectif de se conformer à la vision comptable de la Chambre Territoriale de la cour des Comptes n’a pas de sens !

Les services sont là pour mettre en œuvre des politiques compréhensibles et lisibles. Leur nombre et leur organisation résultent de ces choix.

Pour réduire la voilure, les satellites du Pays offrent de véritables opportunités

Nous l’avons déjà écrit à de multiples reprises, bien des satellites du Pays ont été créés avec des missions comparables à celles de certains services administratifs et leurs frais de structures sont parfois démesurés par rapport à leurs missions.

  • L’Etablissement des Grands Travaux (devenu Grands Projets de Polynésie) fait office de Direction de l’Equipement bis ;
  • L’OPH avale en frais de fonctionnement une bonne partie des ressources qui devraient être dévolues à la construction de logements sociaux ;
  • L’agence d’urbanisme fait relativement doublon avec la Direction de la Construction et de l’Aménagement ;
  • L’autorité de la concurrence rend des avis qui prêtent à sourire tant ils renforcent le positionnement des grands groupes ;
  • L’Institut du Cancer de Polynésie française absorbe en frais de structure un argent dont aurait bien besoin l’hôpital.
  • Etc…

L’argent public est particulièrement gaspillé dans ces EPIC aux rémunérations 30 % à 40 % supérieures à celles qui prévalent dans l’administration.

Aussi, avant de s’attaquer à la fusion des services pour des économies financières minimes, peut-être serait-il temps de rationnaliser la dépense publique là où il y a de véritables gains à réaliser.

Une administration en souffrance

Voilà bien longtemps que nous écrivons sur le sujet. Notre administration et bien de agents publics qui la composent sont en souffrance depuis fort longtemps.

Avant de se précipiter pour coller aux recommandations de la Chambre Territoriale de la cour des Comptes, sans doute serait-il judicieux de se poser pour définir un cap, une vision. Le travail quotidien des agents publics doit faire sens. Chacun doit comprendre à quel maillon du cadre global il appartient et comment il est relié aux autres.

Il doit en outre comprendre la politique qu’il est censé mettre en œuvre, ses objectifs, et ainsi appréhender correctement comment s’inscrit sa fonction. Nous en sommes encore loin, et ce n’est malheureusement pas nouveau.

Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.