Je suis cadre de santé et malheureusement, comme un certain nombre de personnes, j’ai été attrapée par la maladie. Lorsque mon cancer est apparu, ou plutôt lorsqu’il fut détecté, j’ai d’abord pensé que je pourrais continuer à travailler normalement, au moins pendant quelques temps. Cependant, j’ai rapidement dû me résigner.
Au début mon médecin m’imposait des arrêts maladie de quelques semaines, puis est venu le moment où il n’était plus envisageable de continuer à travailler.
Mon médecin a donc demandé que je sois placée en congé de longue maladie, le temps pour moi d’affronter la chimiothérapie, la radiothérapie et tout ce qui se termine en « thérapies ». A priori il s’agissait d’une simple formalité administrative, mon salaire serait maintenu, ce qui me garantissait le financement des études de mes enfants et le remboursement de mes crédits.
Le problème, c’est qu’entre la théorie et la pratique il y a deux mondes. Mon administration a cessé de me payer, la CPS a commencé à me verser des indemnités journalières. Ensuite, il fallait que je transmette chaque mois les justificatifs de mes arrêts et des indemnités journalières que je percevais de la CPS pour entrevoir le paiement du complément de ma rémunération.
Ainsi, à ma situation de santé compliquée est venue s’ajouter une situation financière elle aussi dégradée. Le versement de tous ces éléments doit in fine représenter ma rémunération mais le circuit s’est révélé moins fluide que toutes les perfusions que je subissais. Je n’ai jamais eu la force de vérifier les totaux. Bien qu’en souffrance physique, mon administration n’avait pas trouvé mieux que d’ajouter des tracasseries financières et administratives.
Pour une personne bien portante, il n’est pas simple de se dépatouiller avec les formalités administratives. Mais lorsqu’on se bat pour sa survie, c’est un effort surhumain qui est demandé. Les personnes qui suivent les dossiers ne se focalisent que sur la réglementation et le respect ou non des étapes. Les délais importent peu pour eux. Mais pour moi dont les pensées étaient tournées sur ma capacité à survivre, je n’avais plus la force d’affronter toute cette tracasserie.
En plus de lutter contre la maladie, il m’a fallu lutter contre le système pour préserver ma rémunération. J’ai dû affronter la banque pour la rassurer, obtenir des délais de paiement, des découverts, et tout cela uniquement parce que lorsqu’on est en longue maladie, l’administration et la CPS n’ont pas trouvé mieux que de créer une usine à gaz. J’ai donc également affronté mon administration, la CPS et tout ce qui apparaît dans le circuit.
Aujourd’hui, avec un peu de recul, je me demande encore pourquoi on ne crée pas un dispositif dans lequel l’administration continue de verser intégralement le salaire des personnes en longue maladie et obtient elle-même le remboursement des indemnités journalières auprès de la CPS. Cela éviterait à toutes les personnes dans ma situation la triple peine de la maladie, des tracasseries administratives et des soucis financiers.
Je fais partie des chanceuses, de celles qui ont vaincu la maladie, du moins pour le moment. J’aime mon travail, j’aime m’occuper des patients, j’aime les accompagner et tout naturellement j’ai tout fait pour reprendre le plus rapidement possible. Pour mon retour dans mon service, il avait été exigé par la médecine du travail des aménagements particuliers. Il ne s’agissait pas d’un confort excessif, mais simplement du minimum pour éviter des fatigues trop importantes.
Ainsi avait-il été demandé un bureau avec climatisation ainsi qu’un siège confortable pour des assises longues. Mais lorsqu’on travaille dans la santé, et notamment à la direction de la santé, votre bien être compte peu. Au diable les recommandations de la médecine du travail, me voilà confinée dans un bureau sans confort, sans clim, avec un siège à faire durcir les fesses. J’ai eu beau faire valoir les recommandations de la médecine du travail, alerter ma hiérarchie, l’empathie semble avoir la taille d’une bactérie dans le milieu de la santé.
J’ai naturellement demandé un temps partiel, soutenue sur ce point par la médecine du travail… malheureusement ma hiérarchie n’a pas accédé à ma demande. J’ai fini par chercher à muter dans d’autres services où j’aurais pu travailler de manière mieux adaptée, mais là encore, ma hiérarchie a fait la sourde oreille. J’ai ainsi vu des postes vacants et adaptés pour ma situation être attribués à des collègues plus jeunes que moi et en parfaite santé. J’ai eu la terrible sensation que du mépris on avait glissé vers une forme de maltraitance. La maltraitance dans la santé publique… quelle ironie !
Devant aussi peu de considération, je ne peux plus avoir d’enthousiasme au travail. Moi qui ai voué mes plus belles années à mon administration, moi qui ai fait l’effort de revenir rapidement, avant même que mon médecin traitant ne le souhaite, voilà le mépris que mon administration a pour moi.
Le pire c’est que je suis loin d’être un cas isolé. A force d’échanger, je m’aperçois qu’elles sont nombreuses les personnes présentant des parcours équivalents… Elles viennent de différents horizons, racontent les mêmes galères, et leur ressenti est globalement le même. Même mépris, même dégoût. Tout cela est connu de longue date, mais il semble que quel que soit l’échelon décisionnel, on s’en moque puisque rien n’évolue.
Voilà, je suis une cadre de santé comme il en existe tant d’autres et peu importe mon identité. Ceux qui me connaissent ou connaissent mon parcours me reconnaîtront. Je suis malheureusement loin d’être la seule à avoir traversé cela. Je ne suis pas la seule à être indignée. Indignée… puis résignée.
Lorsque l’empathie et la considération disparaissent, il est grand temps de s’interroger… surtout lorsque c’est dans le domaine de la santé. Comme le disent certains, « la santé, pour la garder, il faut la quitter ».