Télécharger le PDF

Le pays vient d’aligner la durée de présence des professeurs des écoles face aux élèves sur celle de leurs confrères hexagonaux. Ce projet était porté par l’ancien gouvernement, mais en avait-on mesuré toutes les conséquences avant de le mettre en application ?

Pourquoi ce changement ?

Depuis près de dix ans, les enseignants du premier degré du Fenua demandaient au gouvernement polynésien de passer de 27 à 24 heures de présence devant les élèves, comme c’est le cas dans l’hexagone. Une action en responsabilité contre le Pays et l’Etat avait même été intentée.

Pour être bien clair et lever toute ambiguïté, il ne s’agit pas de réduire le temps de travail des professeurs des écoles, mais simplement leur temps de présence devant les élèves en classe.

Si la Cour d’Appel de Paris a rejeté leur demande, elle a cependant reconnu dès 2021 l’illégalité de l’obligation statutaire imposée aux enseignants du premier degré fonctionnaires d’Etat en Polynésie française d’être présents 27 heures par semaine devant les élèves. La cour d’appel soulevait l’absence de base légale à pareille résolution.

De cette décision judiciaire, il découlait donc pour le Pays une obligation d’aligner le temps de travail de ses agents sur celui de leurs homologues dans l’hexagone.

Le risque financier de laisser perdurer la situation était important puisque ces 3 heures de travail supplémentaires étaient imposées en dehors des heures légales des enseignants et pouvaient donc être requalifiées en heures supplémentaires, impliquant une rémunération comme telles.

En multipliant le volume horaire par le nombre d’enseignants et par le nombre d’années pendant lesquelles cette illégalité avait duré, la menace financière était bien réelle.

L’absence d’une véritable concertation

Sans grande publicité, un suffrage s’est tenu entre les 11 et 15 mars 2024 pour connaître l’avis des principaux intéressés. La méthodologie de ce sondage n’a jamais été rendue publique et tout a été géré dans la plus grande opacité. Aucun élément ne permet donc d’en garantir la sincérité.

Si les résultats de la participation ont été rendus public fin avril, sauf erreur ou omission de notre part, les résultats option par option dans chaque école n’ont pas été publiés. La décision du ministre qui est connue depuis le 29 avril 2024 n’est donc sans doute pas basée sur les résultats de cette consultation…

Le 21 juin 2024, la présidence publiait la décision du ministre de l’Éducation avec tous les nouveaux horaires de service dans les écoles publiques.

Le 23 juin 2024, le syndicat des enseignants du premier degré du secteur public dénonçait un vote biaisé ainsi qu’un manque total de concertation, invoquant également des problèmes de transport scolaire.

Les associations de parents d’élèves montaient également au créneau pour faire part de leur désarroi et de leur incompréhension.

Nouveaux horaires, mais vrais ou faux arguments ?

Cette réduction du temps de présence des professeurs des écoles devant les élèves engendre une diminution de la présence des enfants à l’école.

Officiellement, la communication du gouvernement annonce qu’il s’agit d’améliorer la qualité de l’enseignement et d’optimiser le bien-être des élèves ainsi que celui des enseignants, tout en tenant compte des spécificités culturelles et géographiques de la Polynésie française.

Dans la communication du gouvernement, la réforme poursuit donc le maintien d’un temps suffisant pour l’apprentissage tout en garantissant aux élèves des pauses adéquates pour leur repos et leur épanouissement personnel. Le gouvernement pense que ce nouveau schéma conduira à une meilleure concentration des élèves et donc plus de facilité dans l’acquisition des connaissances ; une baisse de la fatigue grâce aux pauses plus longues et une incitation aux activités périscolaires.

Sauf que…

Les nouveaux horaires ne font pas apparaître des pauses plus longues mais simplement des journées plus courtes. Et pour bénéficier d’activités périscolaires, il faut soit de l’argent (beaucoup), soit un investissement conséquent des communes (inexistant à ce jour).

Advienne que pourra et bon courage aux parents pour trouver des solutions.

D’après nos informations, bien des professeurs des écoles font tout ce qu’ils peuvent pour simplifier la vie des parents. Cependant, cette implication ne saurait durer éternellement.

Des conséquences multiples

Si ce passage de 27 à 24 heures par semaine devant les élèves semble anodin, les conséquences sont quant à elles nombreuses. Trois heures de moins par semaine, c’est environ 35 mn de moins chaque jour.

La première conséquence est budgétaire pour les familles. Trois heures par semaine de garderie en supplément représentent entre 13 et 14 heures en plus par mois à financer.

Et si l’on opte pour les activités périscolaires, c’est bien pire, car ces activités ne se limitent pas à 35 mn par jour !

Les employeurs seront-ils compréhensifs ? Accepteront-ils de réduire le temps de travail de leurs agents pour leur permettre d’aller chercher plus tôt leur progéniture ? Evidemment que non puisque le temps de travail est réglementaire.

Ainsi les parents se retrouvent dos au mur. Il leur faudra passer à la caisse, et pas qu’un peu. La mesure prise n’aura donc vraisemblablement aucun impact sur l’amélioration scolaire. En revanche, elle privera les enfants de confort et les parents d’un budget qui permettait une activité ludique. Elle accroîtra un peu plus les inégalités sociales entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent plus rien. Malheureusement, qui s’en soucie ?

Pour notre syndicat, l’échec risque de s’avérer conséquent et il nous paraît annoncé.

Faire d’une contrainte une opportunité

Cette réduction du temps de présence des enseignants devant les élèves est une contrainte imposée par la justice. Ce qui est triste, c’est que d’une difficulté on semble faire ici de nombreux problèmes au lieu d’en créer une opportunité.

Deux pays aux méthodes radicalement opposées font partie du peloton de tête du classement PISA qui mesure les réussites scolaires. Il s’agit de la Corée du Sud et de la Finlande.

En Corée du Sud, les élèves travaillent plus de 14 heures par jour, n’hésitant pas à compléter les heures d’écoles par des cours de soutien et/ou de perfectionnement, et ce, dès le plus jeune âge. Nul doute que ce modèle ne convient pas à notre société.

A l’opposé, mais avec des résultats presque équivalents, il y a la Finlande où les élèves sont en très petit nombre par enseignant pendant la période des apprentissages fondamentaux (lire, écrire et compter) et ils n’ont « cours » que le matin. Les après-midis sont pris en charge par les communes et l’éducation nationale pour des activités physiques, culturelles, musicales, découvertes scientifiques, etc… Ce modèle est bien mieux calé sur nos rythmes polynésiens.

Dès lors, la réduction des rythmes scolaires était une opportunité pour le Pays de mettre en place un nouveau système qui n’existe pas même en France hexagonale.

Dans un partenariat avec les communes qui ont compétences sur les écoles, les terrains de sports et certains transports scolaires, le Pays pouvait développer un véritable projet avec à la clef des emplois. Certes des emplois financés par de l’argent public, mais dans l’impôt, ce qui compte, c’est ce qui en est fait et non la somme collectée.

Les défiscalisations qui ne créent pas d’emploi engouffrent des sommes vertigineuses dont le public ne voit jamais la couleur. Pourtant, c’est son argent. Alors, pourquoi ne pas réorienter cette masse financière vers de vrais services publics qui servent toute la collectivité, et notamment les plus défavorisés et vulnérables ?

Les compétences ne manquent pas sur le territoire pour initier les enfants à la musique, la sculpture, le dessin, le sport, la culture, etc… Autant d’activités où certains enfants aujourd’hui en difficulté dans les matières fondamentales pourraient retrouver une meilleure estime d’eux-mêmes car plus performants que d’autres.

Un calendrier attaqué devant le tribunal administratif

Notre syndicat a déféré le texte sur ces nouveaux horaires devant le Tribunal Administratif. En effet, les Comités Techniques Paritaires qui sont compétents en matière d’organisation du travail et d’horaires n’ont jamais été saisis. Nous demandons un moratoire et un report de l’entrée en vigueur de cette loi à la rentrée de janvier.

Il ne s’agit pas pour nous de combattre cette loi et encore moins la mise aux normes du temps de présence des enseignants devant les élèves. Il s’agit essentiellement de refuser la précipitation de sa mise en œuvre sans véritable concertation et l’absence d’un réel projet.

Les communes, les parents, mais aussi le Pays et l’Etat doivent profiter de cette opportunité pour mieux gérer le temps scolaire.

Le bien-être des enfants… un faux alibi

Aujourd’hui, ne nous voilons pas la face, le temps est organisé pour les adultes et non pour les enfants.

Ce qui compte pour les enfants dans leur apprentissage, c’est le temps de sommeil, notamment nocturne. Donc si l’on souhaitait véritablement mettre l’enfant au cœur des préoccupations, leur journée ne devrait pas démarrer à 7h00 ou 7h30 comme dans quasiment toutes les communes, mais à 8h30 minimum. La journée devrait être entrecoupée de nombreuses pauses et notamment une vraie pause repas d’environ deux heures pour ne pas manger dans la précipitation.

La journée se terminerait sans doute vers 15h30-16h00 après une après-midi consacrée à des activités ludiques et pourquoi pas, la réalisation des devoirs. Les étudiants de l’université pourraient trouver là le moyen de se faire un petit pécule en encadrant les élèves.

Démarrer plus tard nécessite un réaménagement des transports avec une prise en charge des enfants plus tardive.

Bref, le jour où l’apprentissage des enfants sera au cœur des préoccupations n’est pas pour demain. Cependant, il est possible d’utiliser le temps entre août et janvier pour mieux appréhender les changements et permettre aux familles de s’organiser.

Nous ne manquerons pas de communiquer sur le résultat de notre recours.

Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.