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Je me prénomme Vetea (prénom d’emprunt) et comme de nombreux cadres de notre administration, j’ai fait des études poussées. Il est très loin le temps où une licence suffisait à intégrer la fonction publique. Le concours est de plus en plus sélectif car les candidats sont sans cesse plus nombreux avec un nombre de places régulièrement plus limité.

Clairement, le fait d’être allé bien au-delà de la licence aura été un sacré plus, tout comme l’expérience professionnelle que j’ai acquise dans le privé avant de passer le concours. Aujourd’hui j’ai plus de 20 ans de carrière dans notre administration tout en ayant occupé des postes à responsabilités.

Il y a peu, j’ai entendu Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances justifier le recrutement de son expatrié par le fait qu’il n’y avait pas de personnes compétentes sur le territoire. Cette litanie de tous ces ministres et chefs de services qui recrutent leur expatrié, je n’en peux plus ! Quelle humiliation faite à tous les agents de notre administration qui ont pour la plupart d’entre eux un parcours universitaire impeccable, des connaissances professionnelles étendues et un lien avec notre Pays qu’aucun expat n’égalera avant des années.

Notre Ministre de l’Economie, comme tous les autres avant lui, ne connait absolument pas notre administration ni les talents qu’on peut y trouver. Lorsque les « autonomistes » recourent aux expats, on y trouve encore la logique d’une inféodation à l’Etat. Mais lorsque dans un gouvernement indépendantiste on entend la même rengaine, on touche le fond !

Ils sont nombreux les fonctionnaires locaux qui, comme moi, se sentent humiliés par ces personnes transitoirement promues sous les projecteurs et qui viennent, chacune dans leur domaine, nous expliquer que nous n’avons pas de compétences. Monsieur POMARE, comme tous les autres, ne connait pas notre administration et il ne cherche pas à la connaître. Il va au plus simple et au plus servile… l’expat !

Le fonctionnaire local, lui, est moins malléable. S’il perd son job en ministère, pas de souci, il retourne dans son administration et revient à une vie plus calme. En revanche l’expat, c’est tout un processus pour lui… Et après avoir goûté aux salaires colossaux sans impôt sur le revenu, il est addicte !

Alors on peut lui demander tout ce que l’on veut, il est devenu un véritable mercenaire, comme ces nuées d’anciens fonctionnaires d’état qui ont fini par grenouiller dans notre administration ou dans tous les gouvernements, quelles que soient leurs orientations politiques.

Aujourd’hui, je pense aux jeunes qui viennent de rentrer dans la fonction publique et qui, pour nombre d’entre eux, sont techniquement plus compétents que je ne le suis. Je pense aussi à tous mes amis polynésiens qui se sont exilés en même temps que moi pour poursuivre leurs études, et qui faute de place, sont restés en France, au Canada et même ailleurs dans le monde.

Là où ils vivent, on ne leur a pas dit qu’ils manquaient de compétences… Au contraire, on leur a bien souvent dit qu’ils étaient de très bons profils car non seulement ils étaient techniquement bons, mais qu’en plus, leur état d’esprit joyeux était un atout que les autres n’avaient pas ! Visiblement, nos jeunes ont du talent… mais il n’y a qu’hors du Fenua qu’on s’en aperçoit !

Quand nos politiciens, chefs de services et autres dirigeants, comprendront-ils qu’il existe un grand mythe derrière l’idée qu’un « expat » est meilleur qu’un local ? Les expats… je pourrais en parler des heures pour raconter tous ce que j’en ai vu et les situations impossibles qu’ils ont souvent créées et laissées. Poussés par leur vénalité, ils ont souvent défendu, soutenu et parfois même organisé des montages illicites.

Alors quand un ministre, un président, un chef de service ou je ne sais quel responsable administratif vient nous expliquer qu’il est « obligé » d’aller chercher un expat parce qu’il ne trouve pas de cadre compétent localement :

  • Qu’en premier lieu, il définisse avec honnêteté ce qu’il entend par « compétent ».
  • Qu’en second lieu, il cherche véritablement localement !
  • Qu’en troisième lieu, il se pose la question du « pourquoi de moins en moins de cadres locaux de haut niveau sont enclins à travailler dans des ministères ou occuper des postes à responsabilité ? »

En 1947, un certain Pouvana’a a Oopa avait bloqué le « Ville d’Amiens » dans le port de Papeete, afin d’empêcher les « expatriés » du gouvernement français de débarquer au Fenua.

En 2022, Monsieur Fritch alors Président avait d’une certaine façon fait accoster ce navire avec sa loi d’intégration des FEDA qui leur déroulait même le tapis rouge.

En 2024, Monsieur le Ministre de l’Economie leur tend la passerelle pour qu’ils descendent.

Aujourd’hui, je regarde l’ironie de l’histoire. En 2024 c’est un Pomare en sa qualité de décideur politique qui promeut la supériorité prétendue des Expats. Le 29 juin 1880, c’est un autre Pomare qui cédait son poste à un « expat » en lui remettant tous ses pouvoirs… et le Pays par la même occasion. Bien évidemment les circonstances n’étaient pas les mêmes, le rapport de force non plus. Mais il est peut-être pire d’être soumis idéologiquement à un simple narratif qu’à la force militaire d’une puissance coloniale.

Voilà, je suis un cadre de l’administration avec plus de 20 ans d’expérience, qui comme tant d’autres, se retrouve une nouvelle fois rabaissé, même humilié, par les propos d’un ministre de surcroît indépendantiste, qui ne croît qu’en la compétence des « expatriés ». Comme tant d’autres avant lui, il s’est lui-aussi converti au narratif de supériorité naturelle des « expatriés » sur les résidents. Quel magnifique message pour notre administration et pour nos jeunes en formation…