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Voilà quelques mois maintenant, j’ai réussi le concours d’entrée dans la fonction publique. Je suis donc promu au grade de « stagiaire » ! La classe…

Avant cela, j’ai fait des études prolongées et me suis exilé quelques années dans l’hexagone. A mon retour au Fenua, j’ai décroché quelques postes ici ou là, mais rien de trop stable. Maintenant, ma carrière est lancée, du moins je l’espère…

Je m’appelle Manuia, prénom d’emprunt évidemment, car je ne souhaite pas ruiner mes chances de titularisation. Dès mon affectation, on m’a immédiatement confié des tâches conséquentes et j’ai rapidement dû m’adapter. Je pensais naïvement que la période de stage servait à apprendre, à se former, à faire en quelques sortes l’apprentissage du métier de « fonctionnaire ». Rien de tout cela ! Me voici propulsé dans le vif du sujet sans préparation. J’ai eu droit à quelques journées d’information sur les droits et devoirs du fonctionnaire ainsi que sur quelques aspects de la réglementation, mais rien qui ne concerne véritablement le métier que j’exerce et mon quotidien.

Inutile de parler de mon métier. En l’espèce, j’ai la sensation que ça n’a pas grande importance. Que l’on soit juriste, comptable, ingénieur, secrétaire, simple agent de bureau ou je ne sais quoi, il me semble que tous les « stagiaires » sont logés à la même enseigne. Nous sommes placés là où notre hiérarchie le juge nécessaire, ce qui est rationnel. Après c’est la débrouille, ce qui l’est moins.

La débrouille, c’est d’abord trouver quelques collègues sympathiques auprès desquels trouver des réponses à ses questions. Ceux-là, je les ménage, car leur soutien est précieux. Heureusement, nous sommes au Fenua et pas ailleurs, et cela change beaucoup ! Ici, les barrières sont moins hautes et le dialogue plus facile.

Il serait exagéré de dire que j’ai été « accueilli » au sens polynésien du mot. J’ai plutôt été « cueilli » tout simplement. La rencontre avec mon chef de service a duré 5 mn, on m’a montré mon espace de travail, mon ordinateur, et j’ai vaguement été présenté à quelques collègues. Pas d’organigramme, pas de documentation sur les missions du service… J’ai donc fait sans. C’est dommage, cela m’aurait permis de me repérer et de donner du sens à ce que je fais.

Au début, quelques galères avec l’informatique. J’ai donc patienté que le service de l’informatique intervienne. De toutes façons, j’avais de quoi m’occuper car on m’a immédiatement confié des dossiers en me disant « tiens, tu vas commencer par t’occuper de ça ! ». Après, tout s’est enchaîné et je n’ai plus vu le temps passer.

Comme toute personne nouvelle dans un endroit j’ai pu constater des choses qui auraient pu être améliorées. Naïvement j’ai fait quelques propositions. Grave erreur ! J’ai vite compris qu’il valait mieux se taire. Ma titularisation est plus importante que tout le reste en ce moment.

Je suis aujourd’hui à moins de trois mois de la fin de ma période de stage et je commence à m’inquiéter. Ma hiérarchie directe a changé. Avant, je pourrais dire que ça se passait bien, mais dans la réalité je n’avais quasiment pas de contact. Là, je sens que maintenant ça coince un peu.

Cette nouvelle hiérarchie se montre tatillonne, en contrôle de tout, et cela contraste avec avant. Les ordres sont donnés sur un ton peu convivial, sans véritables explications. Aurait-on oublié que je ne suis que « stagiaire » ? Cette personne me reproche même de communiquer directement avec mes collègues sans la mettre systématiquement en copie de mes échanges… Depuis, je m’exécute même si je n’y vois pas toujours l’intérêt.

Les règles ont donc visiblement changé mais il n’y a pas eu de réunion pour l’exposer. Du moins, s’il y en a eu une, je n’y ai pas été convié et n’en ai pas été informé. Les autres agents ont aussi senti le changement et visiblement ils accusent le coup. Mais eux sont déjà titulaires alors ça change tout !

J’espérais naïvement des points d’étapes durant ma période de stage, environ tous les trois mois.

Apparemment personne ne s’en est soucié jusqu’à présent. J’ai tenté quelques approches sur le sujet mais aucune réaction, pas plus de mon ancienne hiérarchie que de la nouvelle. Je ne sais donc pas si ce que je fais convient ou non. Je ne sais pas si mon comportement correspond aux attentes de ma hiérarchie ou non. Je n’ai eu aucun retour sur la qualité de mon travail.

Je ne sais même pas qui est mon tuteur pour cette période de stage ni même si j’en ai un. Je ne sais donc pas qui fera mon évaluation. Logiquement ce doit être le chef de service, mais je ne l’ai pas rencontré plus d’une heure au total depuis que j’ai commencé. Que va-t-il bien pouvoir évaluer ? Je crains bien d’apprendre du jour au lendemain, sans aucune explication, que mon stage ne s’est pas bien passé et que je ne suis donc pas titularisé.

J’ai donné le maximum. J’ai essayé d’être le plus efficace possible… et c’est peut-être cela qui a créé quelques tensions avec ma nouvelle hiérarchie. De temps en temps j’ai la sensation que cette personne me reprocherait presque d’avoir fait plus d’études qu’elle. Mon diplôme doit la gêner… mon expérience professionnelle passée aussi.

Pourtant, cela pourrait être une opportunité pour le service. Un autre parcours, une autre façon de voir les choses, une autre expérience, c’est toujours une chance, mais seulement pour qui veut la saisir… J’espère en serrant les fesses que ma titularisation ne reposera pas que sur ce que me renvoie ma hiérarchie directe, sinon c’est retour à la case départ.

C’est dommage que l’administration n’ait pas prévu un protocole d’intégration et d’évaluation qui imposerait, à minima, un tuteur, des points d’étape ou des évaluations tous les trois mois… comme ça, on saurait mieux où l’on va… Si c’est prévu, alors il serait bon que les services le sachent et le respectent.

Je suis stagiaire, et je galère. Non pas professionnellement car avec mon expérience et l’aide de mes collègues j’ai vite pigé. Mais humainement, c’est compliqué car l’absence de vision entretient une incertitude qui pousse irrémédiablement à la faute. J’étais tellement enthousiaste quand j’ai commencé, mais aujourd’hui, je crains pour mon avenir.

Y a-t-il quelqu’un dans l’administration pour se soucier de ma situation et de tous ceux qui vivent plus ou moins la même chose que moi ?