Le pourvoir d’achat des agents de l’administration n’évolue pas de façon uniforme. ANFA et FEDA sont mieux lotis sur ce point que la très grande majorité des fonctionnaires territoriaux.
Petit tour d’horizon de cette inégalité de traitement au sein de la fonction publique… une de plus.
Qu’est-ce que le pouvoir d’achat ?
Le pouvoir d’achat traduit globalement ce que permet d’acheter une certaine quantité de monnaie qui resterait fixe au cours du temps. Par exemple, que pouvait-on acheter il y a 30 ans avec 10 000 F.CFP et que peut-on acheter aujourd’hui avec la même somme ? Pour être plus précis, quelle quantité de thon, de lait, de tomate, de taro, etc… pouvait-on acheter il y 30, 20, 10 ans et combien peut-on en acheter aujourd’hui, toujours avec la même somme.
Comme nous ne mangeons pas que du thon ou que du lait, la référence sur l’évolution du pouvoir d’achat est l’indice des prix à la consommation (l’inflation). Son évolution traduit plus ou moins celle du pouvoir d’achat. Plus l’indice des prix augmente et plus le pouvoir d’achat diminue.
Depuis juillet 1996 qui sera notre point de référence en raison de la disponibilité des données, les prix ont globalement augmenté de 41 %. Sur la même période, le point d’indice, et donc la rémunération des fonctionnaires (hors avancement ou promotion) n’a progressé que de 24 %…
Ainsi, l’inflation a progressé presque deux fois plus vite que le point d’indice depuis juillet 1996. Toutes choses restant égales par ailleurs, cela signifie que les fonctionnaires territoriaux ont perdu 17 % de leur pouvoir d’achat (41 % – 24 %).
Secteur public / secteur privé, quelle différence ?
Le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) en Polynésie française est directement indexé sur l’indice des prix à la consommation. Cela signifie que dès que l’inflation franchit un certain seuil (2 % aujourd’hui), le SMIG est automatiquement revalorisé dans des proportions au moins équivalentes.
Seulement, lorsque le SMIG augmente, les conventions collectives sont en général revalorisées elles aussi.
A partir d’un certain niveau de revenu, il n’y a plus de compensation ou de répercussion de cette hausse.
Pareille situation qui se répète tend généralement à resserrer les grilles salariales autour du SMIG. Mais au bout d’un certain temps, la pression devient trop forte et les salaires plus conséquents doivent également être revalorisés pour conserver une certaine cohérence des grilles.
Dès lors, dans le secteur privé, cette indexation automatique du SMIG contraint progressivement la grande majorité des revenus à progresser. Dans le secteur public, la situation est loin d’être uniforme.
ANFA, les mieux lotis côté pouvoir d’achat
Les Agents Non-Fonctionnaires de l’Administration sont les grands gagnants en matière de pouvoir d’achat. Les textes qui régissent leur statut prévoient en effet une indexation automatique sur l’évolution du coût de la vie.
A chaque fois que l’indice des prix à la consommation évolue de plus de 2 points (et non 2 %), le salaire des ANFA est automatiquement réévalué dans des proportions au moins équivalentes.
Cette indexation fait en sorte que les ANFA ne perdent donc jamais véritablement de pouvoir d’achat, excepté de manière transitoire dans de modestes proportions.
FEDA… seconds sur le podium !
Les Fonctionnaires d’Etat Détachés dans l’Administration sont bien mieux lotis que les fonctionnaires territoriaux.
Dans l’hexagone, l’Etat négocie chaque année avec les syndicats des revalorisations de salaires. Ces négociations ont lieu habituellement en fin d’année sur la base d’une estimation de l’inflation annuelle.
Les revalorisations qui sont négociées ne sont bien évidemment pas identiques à l’inflation. Cependant, elles permettent d’atténuer la perte de pouvoir d’achat.
La chance des FEDA est que notre administration a une obligation contractuelle de leur appliquer les revalorisations négociées en métropole. Dès lors, leurs rémunérations progressent à intervalles réguliers.
Des fonctionnaires territoriaux pas tous logés à la même enseigne
Certains fonctionnaires territoriaux bénéficient de primes directement corrélées à leur indice. Lorsque le point d’indice est revalorisé, non seulement leur salaire l’est, mais également les primes qu’ils perçoivent. Cet avantage les protège comparativement aux autres fonctionnaires et cela crée des distorsions.
En premier lieu, une très large proportion de fonctionnaires ne perçoit aucune prime ou indemnité. Ensuite, toutes les primes ou indemnités ne sont pas systématiquement calées sur le point d’indice. Les indemnités de sujétion spéciales, les indemnités compensatrices, les astreintes, etc. ne le sont pas.
Les fonctionnaires territoriaux sans prime sont les dindons de la farce
Comme exposé au début de cette lettre mensuelle, les fonctionnaires territoriaux ont vu leur pouvoir d’achat amputé de 17 % depuis juillet 1996.
Seules leurs évolutions de carrière ont légèrement compensé leurs pertes de pouvoir d’achat. Changements d’échelon ou de grade devraient normalement faire progresser leurs rémunérations. Dans les faits, l’ancienneté et les efforts ne viennent que compenser ce que l’inflation dévore régulièrement.
La maîtrise budgétaire…
A chaque fois que les syndicats évoquent la revalorisation du point d’indice, le gouvernement brandit la sacro-sainte nécessité d’une « maîtrise budgétaire ».
Il est vrai qu’avec une masse salariale qui avoisine les 30 milliards de F.CFP, chaque pourcentage de revalorisation représente 300 millions de F.CFP. Nous pouvons donc aisément comprendre l’argument.
En réalité nous ne le comprenons qu’« en théorie » uniquement. Dans la pratique, la même sacro-sainte « maîtrise budgétaire » s’efface totalement sur bien des sujets. Il suffit de constater les sommes vertigineuses dépensées pour les fastes olympiques dont il ne restera vraisemblablement plus rien dans quelques mois, voire quelques semaines.
Il est étonnant que les gouvernements qui se succèdent n’aillent pas au bout de leur logique en supprimant toutes les indexations automatiques qui existent au nom justement de cette « maîtrise budgétaire ».
Car les indexations automatiques sont illégales !
Si la fixation des salaires est en principe libre, il existe toutefois certaines limites à cette liberté. Ainsi, les clauses d’indexation automatique des salaires sur le niveau général des prix ou encore sur le Smic sont interdites.
Plus généralement, le fait de conditionner l’augmentation du salaire à l’évolution d’un des indices précités est interdit. La Cour de cassation est venue apporter quelques précisions sur ce point dans un arrêt rendu le 5 octobre 2017 (Cass. soc., 5-10-17, n°15-20390).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que « toute clause d’un accord ou d’une convention collective prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance ou par référence à ce dernier, sur le niveau général des prix ou des salaires, ou sur le prix des biens produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet du statut ou de la convention ou avec l’activité de l’une des parties est interdite et frappée de nullité ».
Elle ajoute qu’une référence, même partielle, à l’évolution de la valeur de l’un de ces indices ou index constitue une clause d’indexation automatique prohibée.
Dès lors, une convention collective qui comporte un mécanisme d’augmentation générale des salaires lié à la croissance moyenne de l’indice des prix à la consommation ou du SMIC / SMIG est de facto illégale. Tel est donc le cas de celle des ANFA.
Dans un second arrêt (Cass. soc., 3-5-79, n°78-40.123), la Cour de cassation a débouté des syndicats qui contestaient l’arrêt de mécanismes de revalorisation de salaires. Dans cet arrêt, il est également rappelé que « toute clause d’indexation sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur le Smic est interdite, même si cette indexation n’est que partielle ».
Indexations automatiques, une contrainte sur le budget et sur l’équité
Il est bien évident que si certains bénéficient d’indexations automatiques, ils grignotent la part du gâteau qui pourrait être partagée équitablement entre tous les agents publics.
La « maîtrise budgétaire » brandie par tous les gouvernements qui se sont succédé a en réalité essentiellement été subie par les fonctionnaires ne disposant pas d’avantages spécifiques et dont la rémunération ne repose que sur le seul point d’indice. Il s’agit pourtant de la majorité des agents publics…
Ainsi, pour préserver les avantages d’une minorité d’agents, il a été demandé à la majorité des fonctionnaires que nous sommes de faire des sacrifices.
Voilà donc des années que les gouvernements ont contribué à faire progresser les inégalités dans notre administration. In fine, 17 % de perte de pouvoir d’achat depuis juillet 1996 pour la majorité d’entre nous.
Or rappelons que les fonctionnaires territoriaux constituent peu ou prou la classe moyenne, celle qui épargne peu et investit quasiment toute sa rémunération dans l’économie locale. Ce sont donc plusieurs dizaines de milliards qui auraient pu être injectés dans l’économie polynésienne de manière diffuse si les salaires du plus grand nombre avaient été davantage revalorisés.
Ce que notre syndicat réclame
En mai dernier, notre syndicat a demandé au Président comme à Madame la Ministre en charge de la fonction publique que soit mis fin aux indexations automatiques et qu’en lieu et place, il soit procédé à des négociations annuelles, à périodes fixes, sur l’évolution des rémunérations dans la fonction publique.
Lors de la rencontre du premier mai, les grandes centrales syndicales avaient exigé 7 % d’augmentation, soit plus de 2 milliards d’effort budgétaire annuel à prélever dans le budget de la population. Nous ne partagions pas cette vision car nous considérons que nous ne pouvons pas exiger pareil sacrifice auprès de familles qui bien souvent ne parviennent pas à boucler les fins de mois.
En revanche, nous réclamons que chaque année, le point d’indice puisse évoluer, même d’une dizaine de francs, afin de ne jamais trop écarter les fonctionnaires de l’évolution du coût de la vie et atténuer un mécontentement profondément légitime aujourd’hui.

Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.