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Le principe qui prévaut pour les recrutements dans la fonction publique, est une égalité des chances pour toutes les personnes qui présentent les caractéristiques recherchées par l’administration. Cela se traduit par l’organisation de concours dans lesquels toute la partie écrite est anonyme.
Si le concours est la règle pour les catégories « A », « B » et « C », les agents de catégories « D » y échappent.

Les concours… uniquement depuis 1997

Avant la mise en place des premiers concours en 1997, intégrer l’administration, et plus encore les établissements publics, était souvent une affaire d’opportunité. Les agents recrutés relevaient du statut des Agents Non Fonctionnaires de l’Administration, statut de droit privé, qui offrait cependant une très bonne sécurité de l’emploi.

C’est pour rester fidèle à ce principe d’égalité des chances d’intégrer la fonction publique, que notre syndicat avait attaqué victorieusement devant le tribunal administratif, une Loi du Pays de décembre 2011 autorisant l’intégration dans la fonction publique territoriale des employés issus des satellites du Pays.
Pour autant, plusieurs années auparavant, Monsieur Gaston FLOSSE, alors Président de la Polynésie française, avait intégré sans concours dans notre administration, les quelques 1 000 agents du GIP (près de 15 % des effectifs de la fonction publique de l’époque).

La réalité actuelle… depuis 1997 !

Depuis 1997, les niveaux de recrutement restent les mêmes et les modalités de concours n’ont presque pas évolué, à quelques petites nuances près. Parallèlement, le contexte a profondément changé, tout comme les besoins de l’administration.

A l’image du secteur privé, l’administration a besoin de plus en plus d’agents spécialisés et performants dans leurs domaines. Les usagers de l’administration exigent légitimement des réponses de plus en plus rapides, précises et pointues. Cependant, dans un cadre restreint comme celui de la Polynésie française, la polyvalence des agents reste souvent un atout.

Aujourd’hui, n’importe quelle personne ayant une licence, quel qu’en soit le domaine, peut se présenter aux concours de catégorie A de l’administration. Ainsi, des licenciés en anglais, reo maohi, philosophie, peuvent se présenter aux concours de recrutement pour des postes de juristes, d’économistes, de comptables, etc. Or, compte tenu du fait que les règles actuelles du concours imposent une note éliminatoire en épreuve de culture générale, on a vu d’excellents juristes, statisticiens, comptables, être éliminés du concours au profit de personnes plus faibles dans les disciplines techniques, mais ayant eu une note convenable à l’épreuve de culture générale.

Devant le jury à l’oral, ces personnes soulèvent parfois la consternation des recruteurs qui connaissent les besoins pointus de l’administration, et qui ne peuvent alors accepter de recruter des personnes qui n’ont pas le niveau technique requis. Les membres des jurys se trouvent alors face à un dilemme : recruter par le bas pour éviter que des postes restent vacants, ou occupés trop longtemps par des CDD qui se succèdent, ou bien préférer la qualité à la quantité en refusant le recrutement. Mais à la fin, quel est le sens d’un tel processus de recrutement couteux, si ce n’est pas pour embaucher ?
Le coût est un élément important dans la décision d’ouvrir des concours ou non. A quelques reprises, notre administration a fait appel aux compétences qui existent en son sein pour créer des sujets et corriger des copies. Car notre administration dispose de personnes compétentes pour orchestrer cet exercice. C’est la meilleure méthode et sans doute la moins couteuse. Qui mieux qu’un juriste de notre administration saura cibler par son sujet les juristes qu’il faut recruter ? Et il en va de même pour toutes les spécialités.

Il faut de la neutralité et de l’objectivité pour corriger des copies de concours. En tant que correcteur, et particulièrement dans les épreuves de culture générale, il faut accepter la présentation de points de vue différents du sien. La notation doit alors porter sur la qualité de la présentation, de l’organisation des idées, de l’expression, et bien évidemment, sur la qualité des arguments exposés.
L’externalisation des concours et ses limites

Notre administration a externalisé l’organisation des derniers concours. Elle est même allée jusqu’à chercher des prestataires hors du Fenua, donnant lieu à des sujets en complet décalage avec nos besoins. Il est vrai également que la sous-traitance de concours auprès de prestataires de la place a parfois donné lieu à des épisodes ubuesques.

Si les concours sont aujourd’hui devenus si coûteux, c’est exclusivement en raison du nombre de candidats qui se présentent. Dans un contexte économique morose, le secteur privé recrute moins et l’embauche de cadres y est rare. Dès lors, l’ouverture d’un concours attire naturellement de nombreux candidats.

Le rythme irrégulier des recrutements et ses conséquences

Les calendriers d’organisation des concours ne sont pas sans conséquences. En organisant des concours de manière irrégulière, on recrute en nombre des personnes qui, 35-40 ans plus tard, partirons également en nombre à la retraite. Cela provoquera sans doute des difficultés de fonctionnement dans certains services lorsque l’heure de la retraite aura sonné pour ces wagons de fonctionnaires.

Notre administration qui souhaite légitimement donner la priorité aux enfants du Fenua, organise des concours au beau milieu des années universitaires, lorsque les étudiants polynésiens qui mènent des études supérieures hors du territoire ne peuvent y participer. Quel manque de rationalité !

Il serait tout à fait possible d’entrevoir un centre d’examen en métropole pour donner leur chance aux étudiants polynésiens expatriés, mais cette solution n’a jamais été explorée…

Notre administration ne planifie pas ses besoins, ne s’inscrit dans aucune dynamique de lissage des entrées et sorties, et surtout, ne se remet absolument pas en question sur la façon de recruter et de faire baisser les coûts de recrutement. Or, pour faire baisser les coûts d’organisation de concours, il faut parvenir à sélectionner efficacement les postulants, en donnant du sens à une telle démarche.

Relever les niveaux de recrutement

Sans doute est-il grand temps de faire évoluer les choses et de prendre en considération le niveau atteint aujourd’hui par les étudiants du Fenua.

Peut-être devrions nous relever les niveaux d’accès aux concours, non pour en exclure des personnes, mais pour simplement se caler sur une réalité. De manière générale, ceux qui réussissent les concours ont en général un niveau d’étude bien supérieur à celui aujourd’hui requis pour se présenter.

Les concours de cadres A, aujourd’hui accessibles sur la base d’une licence (bac + 3) devraient peut-être s’ouvrir aux titulaires d’un master (bac + 5). Les concours de cadres B, aujourd’hui ouverts aux bacheliers, devraient être accessibles aux titulaires d’une licence (bac + 3). Les concours de cadres C auxquels peuvent se présenter les diplômés d’un brevet des collèges devraient peut-être dorénavant s’ouvrir aux bacheliers.

Enfin, pour mettre fin à l’instrumentalisation des recrutements, les agents de catégorie D devraient sans doute aussi se voir recrutés uniquement par concours ouverts aux détenteurs du brevet des collèges.
Par ce biais, notre administration donnerait du sens au fait de ne pas abandonner sa scolarité, et mieux encore, de poursuivre des études longues. En rehaussant les niveaux de recrutement, les postulants seraient mieux ciblés et techniquement plus pointus.

Pour protéger l’accès de nos jeunes diplômés à la fonction publique territoriale, rien n’empêcherait d’imposer soit une durée de présence continue sur le territoire avant de pouvoir se présenter au concours, soit la justification d’un rattachement au Fenua.

Exiger une formation conforme au concours présenté… le débat reste ouvert

Parallèlement, peut-être faudrait-il aujourd’hui exiger des candidats qu’ils affichent des diplômes en rapport avec le concours qu’ils présentent. Est-il utile de laisser un bac + 5 en anglais postuler sur un poste de juriste ? Y a-t-il du sens à permettre à un juriste de se présenter à un concours d’économiste ? Ces exemples soulevés se sont déjà présentés !

Il peut paraître logique que seules des personnes formées au droit puissent se présenter à un concours de juriste ou que seules des personnes formées à la comptabilité et la gestion puissent se présenter à un concours de comptabilité-gestion.

Pour autant, la polyvalence s’est souvent révélée être un atout dans notre administration. C’est la raison pour laquelle cette nécessité de la spécialisation pour se présenter à un concours fait encore débat.

Cette problématique pourrait être résolue par la formation continue qui fait grandement défaut à notre administration. Il s’agit d’un autre sujet qui sera abordé dans une prochaine lettre mensuelle.

Malgré tout, notre administration doit sans nul doute être contrainte de changer d’approche. Aujourd’hui les agents sont classifiés selon des statuts, demain ils doivent être reconnus dans leurs métiers.

Notre administration a pourtant adopté un référentiel des métiers, mais qu’elle exploite finalement peu, puisqu’elle continue à organiser les agents selon des statuts.

Les chefs de services le savent bien, ils n’ont pas besoin de cadres « A » ou « B » ou « C » ou « D ». Ils ont besoin d’un juriste, d’un comptable, d’un contrôleur, d’un manœuvre, d’une secrétaire etc.

Les usagers exigent aujourd’hui légitimement des réponses précises et pointues qui ne peuvent être apportées que par des personnes maîtrisant leur sujet.

Faut-il partir de compétences techniques fortes puis ouvrir les agents à de la polyvalence ou bien faut-il partir d’agents à compétences multiples pour les spécialiser ? Le débat est aujourd’hui loin d’être tranché.

Réviser la forme et le contenu des concours et non leur principe

Les concours sont aujourd’hui organisés de telle sorte qu’il y a schématiquement deux niveaux. Des épreuves d’admissibilité et des épreuves d’admission. Les épreuves d’admissibilité sont les plus coûteuses dans l’organisation des concours car il y a en général beaucoup de copies longues à corriger.

Sans doute faudrait-il parvenir à l’organisation de concours à trois niveaux et non plus deux comme aujourd’hui. Des épreuves de sélection, des épreuves d’admissibilité puis des épreuves d’admission.

Les épreuves de sélection doivent permettre de garantir rapidement et à faible coût que les candidats présents aux épreuves d’admissibilité auront le niveau minimal que l’administration est en droit d’attendre d’eux.

Bien évidemment, la difficulté de ces épreuves doit évoluer de manière croissante avec le niveau de recrutement. A ces épreuves, les candidats devraient démontrer qu’ils ont du bon sens, qu’ils sont en mesure de comprendre parfaitement les instructions qui leurs sont données par écrit et qu’ils ont un minimum de culture générale sur le Fenua.

De simples questionnaires à choix multiples (QCM) sur différents thèmes pourraient permettent d’effectuer un premier tri. L’intérêt d’un QCM est qu’il peut être corrigé de manière automatique, totalement anonyme et quasiment sans coût, par une simple lecture optique d’une grille de réponse.
Les épreuves d’admissibilité devraient quant à elles démontrer les capacités techniques des candidats dans les spécialités qu’ils ont choisi. Il est possible d’associer deux types d’épreuves. Une première, sous la forme d’un QCM, au travers duquel on pourra mesurer les connaissances académiques, théoriques du candidat. Une seconde, sous la forme d’une analyse pour mesurer la capacité du candidat à exploiter ses connaissances dans un cas concret.

Enfin, les épreuves d’admission doivent évaluer les capacités des candidats à sortir de leur zone de confort. C’est par exemple à ce niveau que devrait se trouver l’épreuve de culture générale. Et bien évidemment, la note en culture générale ne doit pas être éliminatoire comme c’est le cas aujourd’hui !
C’est également à ce niveau que devraient avoir lieu deux entretiens différents pour mesurer les capacités du candidat à l’oral. Un entretien oral avec un jury de deux personnes sur des compétences techniques, puis un second entretien devant le jury complet du concours autour du parcours et de la personnalité du candidat.

Si ce processus de recrutement paraît lourd, il ne faut pas oublier qu’un recrutement dans la fonction publique est un investissement sur 35-40 ans. Un seul cadre A, représente un budget d’environ 200 millions de francs pour une carrière. Autant s’assurer que la personne recrutée a une forte probabilité de donner satisfaction.

Les contenus des concours doivent être impérativement révisé car ce qui a été défini en 1997 n’a sans doute plus sens aujourd’hui.

Chercher à recruter les meilleurs éléments pour offrir le meilleur service public

Accroitre les niveaux de recrutements, ce n’est pas faire obstacle à l’entrée dans la fonction publique. C’est au contraire reconnaître que les enfants du Fenua ont progressé et qu’ils sont capables de bien mieux que nous l’estimons. Dès lors, notre administration doit offrir aux usagers du service public ce qu’il y a de mieux.

Ne le cachons pas, notre administration est destinée à réduire sa voilure, à produire autant avec des effectifs toujours plus restreints. Pour cela, elle doit gagner en productivité, en recrutant des agents toujours plus performants dans ce qu’ils font.

Le calendrier de recrutement doit être simple et lisible à long terme. En réduisant le nombre de candidats potentiels aux concours, car davantage ciblés, il doit être possible d’organiser chaque année des concours aux mêmes périodes, si possible lorsque les étudiants ont terminé leur cursus (pas au milieu). Les concours doivent donc se dérouler entre juillet et septembre, quels que soient les niveaux de recrutement.

Point de planification possible sans une veille. Par conséquent, une commission doit être en mesure de statuer régulièrement sur les besoins à venir, les métiers à anticiper ou renouveler, mais également sur ceux à laisser disparaître progressivement car inutiles, en proposant, pourquoi pas, des redéploiements d’effectifs. Cette commission pourrait alors déterminer chaque année le nombre de personnes à recruter par métier et par niveau pour les prochains concours.

En ce sens, les besoins de notre administration doivent être définis à minima à moyenne échéance. C’est en prévision des besoins à 5 ans que doivent être définies les filières prioritaires, c’est-à-dire celles pour lesquelles le Pays est prêt à des sacrifices financiers pour inciter des étudiants à s’y engager.

Nous profitons de cette dernière lettre de l’année 2023 pour vous souhaiter d’excellentes fêtes de fin d’année.
Une très bonne santé pour vous et vos proches. Beaucoup de sérénité et de réussite pour chacun d’entre vous.