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Le gouvernement a inauguré en ce mois d’octobre 2021, la quinzaine de l’innovation publique. L’ambition affichée est de permettre de nouveaux modes de travail, de nouveaux modes d’accessibilités et de nouveaux modes de management. Comme le souligne le gouvernement, « plus qu’une intention, elle incarne une ambition partagée par l’ensemble des acteurs de la vie publique, et constitue un vecteur de réussite de la modernisation de l’action publique.»

Une démarche louable

Cette démarche d’innovation dans la fonction publique, le Syndicat de la Fonction Publique la souhaite de longue date. Aussi, nous ne pouvons que nous féliciter de celle-ci et des bonnes intentions qui l’accompagnent.

Nous n’avons aucun doute sur la volonté des agents de la fonction publique de voire notre institution se moderniser et offrir un service public plus accessible, de meilleure qualité et finalement simplifié pour les utilisateurs.

En ce qui concerne les nouveaux modes de travail et de management, là encore nous sommes persuadés que les agents de la fonction publique, dans leur très grande majorité, sont en attente d’un renouveau… Le risque est malheureusement qu’ils soient en attente encore très longtemps.

Lorsque des chefs de service comme Madame Solange CALISSI, Directrice des Impôts et des Contributions Publiques (DICP) ou Monsieur Eric DEAT, Directeur de la Modernisation et des Réformes de l’Administration (DMRA) s’engagent, nous n’avons aucun doute quant à leurs intentions et leur profonde envie de voir évoluer l’institution à laquelle ils appartiennent. Ils sont sincères, n’en doutons pas. Avant d’être des chefs de service, ils sont des agents de la fonction publique qui ont servi pendant des années et qui ont donc une expérience sérieuse de ce qu’est le service public.

Qui sont « les acteurs de la vie publique » ?

Les agents eux-mêmes sont les plus pertinents pour définir la meilleure façon de rendre le service public aux usagers. Et parmi eux, les agents de proximité, ceux qui sont véritablement au contact des usagers, possèdent la plus grande légitimité.

Pourtant, nous n’avons nullement connaissance d’une quelconque écoute de leurs points de vue, même récemment. In fine, c’est pourtant eux qui devront faire le lien entre l’administration et les administrés. Ce ne sont pas les cadres isolés dans leurs bureaux qui seront au contact des usagers. Si dès le départ les agents de proximité sont exclus de la démarche, ils ne pourront pas s’approprier le projet et le rendre concret.

A notre connaissance, aucune réunion ne s’est tenue entre les représentants syndicaux et l’administration autour de ce projet d’innovation. D’ailleurs, nous n’avons reçu aucune invitation pour cet événement, ce qui traduit d’une certaine façon la considération de notre administration pour les représentants des agents de la fonction publique.

Sur quelles bases ont donc été définis les nouveaux modes de travail et les nouveaux modes de management ?

Y a-t-il eu une étude, une enquête, pour sous-tendre les décisions à venir ? L’objectif à atteindre aurait-il été fixé sans aucune concertation ? Par le haut ? Cet objectif est-il connu de tous les agents de la fonction publique ?

Dès lors, lorsque le gouvernement écrit que cette démarche « incarne une ambition partagée par l’ensemble des acteurs de la vie publique », il est légitime de se demander si, pour nos dirigeants, les agents de la fonction publique font véritablement partie des acteurs de la vie publique !

Une démarche soi-disant initiée en 1998

Les autorités publiques sont intervenues à plusieurs reprises pour souligner que cette démarche aurait été initiée dès 1998. Si une telle ancienneté s’avérait exacte, comment ne pas s’affliger des maigres résultats obtenus en près de 25 ans! Quel aveu d’échec !

Pour nombre d’entre nous qui occupons des fonctions électives et représentatives au sein de la fonction publique depuis plus de vingt ans, rien n’a particulièrement changé. Non seulement rien n’a véritablement évolué, mais nous avons beaucoup de mal à nous souvenir de quelconques échanges entre syndicats et direction sur le sujet avec un véritable objectif…

Des liasses de documents ont été demandées aux services et établissements, pour la pure forme, sous les dénominations pompeuses de Plan Annuel de Performance (PAP) et de Rapport Annuel de Performance (RAP). Ces documents sont officiellement destinés à mesurer par le biais d’indicateurs, l’efficacité de l’action administrative. Dans les faits, il s’agit d’un pure exercice bureaucratique sans traduction réelle dans l’amélioration du service rendu à l’usager.

La réalité ne semble pas tout à fait la même que l’habillage en papier glacé que souhaite donner l’administration pour l’occasion. Les coups de Com’, qui cachent l’absence d’un véritable projet, les réunionites et autres séminaires sur l’administration sans objectifs précis, ne peuvent pas en effet être considérés comme faisant réellement partie d’un projet d’innovation.

Pourquoi alors cette inertie en 25 ans ? Sans doute car l’initiative de cette innovation n’est pas laissée aux agents de la fonction publique eux-mêmes.

Les signaux envoyés depuis des années par le politique sur l’évolution du mode de travail et de management dans la fonction publique, sont totalement contradictoires avec les ambitions affichées.

Ainsi pour prendre un exemple récent, le télétravail que bon nombre de pays ont déjà déterminé comme un outil indispensable des nouvelles organisations du travail, n’est visiblement pas pour demain dans notre administration. Les textes qui le sous-tendraient ont été apparemment bien vite remis dans les cartons.

Parallèlement, nous continuons à assister aux parachutages à la tête de certains services, de personnes certainement pleines de bonne volonté, mais sans véritable légitimité sur leur nouveau poste.

Des réunions, séminaires ou ateliers se sont pourtant tenus depuis 2018 auxquelles ont participé des agents de la fonction publique. Un projet semble donc se dessiner sans que les organisations syndicales n’aient été officiellement alertées et invitées à y participer. Du moins, le syndicat représentatif que nous sommes en a visiblement été exclu… mais nous ne pensons pas que notre administration ait pu agir ainsi, nous l’aurions sans aucun doute appris.

Dès lors, comment les agents de la fonction publique pourraient-ils s’approprier un projet d’innovation dont ils ne connaissent pas concrètement les objectifs ? Comment pourraient-ils encore croire en ces discours enrobés, lorsqu’au quotidien ils vivent le contraire ? Comment pourraient-ils avoir foi en leur administration s’ils ne sont absolument pas convaincus que le changement est pour demain !

La méthode Lego®Serious®Play (LSP)

Toutes les méthodes modernes de management qui rencontrent du succès, dont la fameuse méthode Lego®Serious®Play sur laquelle semble s’appuyer l’administration, sont basées sur l’appropriation du sujet et des enjeux dès la conception des projets.

La méthode ici retenue, consiste à utiliser les briques de Lego® comme métaphore d’une pensée, d’où son nom. Dans tous les projets qui l’utilisent, on organise des séminaires en créant des groupes de travail, en posant une problématique, en fixant des objectifs et en essayant d’exploiter au mieux la créativité des participants.

Pour un projet d’une telle envergure, on ne s’appuie pas sur les seules personnes qui veulent participer… on impose la participation de chacun. Normalement, l’objectif n’est pas de faire avaler une solution déjà choisie. Il s’agit pour le porteur de projet, d’accepter le principe que les meilleurs choix peuvent venir de la créativité et des points de vue de chacun, quels qu’ils soient.

A notre connaissance, rien de tout cela ne s’est déroulé au sein de notre institution. Et même par le biais de méthodes plus classiques, nous n’avons pas connaissance d’un nombre très substantiel d’agents de la fonction publique interrogés, sondés, écoutés. Pourtant, les moyens modernes permettent à peu de frais et rapidement, de récupérer une masse importante d’information, d’autant que chaque agent de la fonction publique dispose aujourd’hui d’un accès à internet.

Cette démarche d’innovation, dont les objectifs concrets sont pour le moment inconnus, démarre donc de la plus mauvaise façon, puisque la méthode de travail recommandée n’est même pas appliquée aux agents.

Nouveaux modes de management et de travail

Dans bien des cas, l’instrumentalisation de notre institution s’est accélérée ces dernières années, accroissant les situations conflictuelles ainsi qu’un mal-être au travail chez nombre d’agents. On ne compte plus les chefs de services ou directeurs d’établissements parachutés sans aucune compétence managériale, et parfois sans aucune culture de l’administration.

Les méthodes de management et de travail innovantes qui fonctionnent, sont basées sur la confiance en l’agent. Cette confiance est le fruit d’une responsabilisation de chacun et d’un profond respect de la part des hiérarchies pour les agents placés sous leur responsabilité.

Comment des responsables souvent choisis pour leur docilité et leur servilité, vont-ils pouvoir accepter des méthodes de management modernes, dans lesquelles la voix de chacun compte, quel que soit son statut ?

Comment vont-ils vivre ces nouvelles méthodes souvent basées sur la confiance dans les agents, eux qui part leur insécurité, vivent dans la défiance permanente ?

Comment vont-ils gérer l’autorité avec ces nouvelles méthodes de management, lorsqu’ils n’ont qu’une faible légitimité sur leur poste aux yeux du personnel ?

Comment préparer une gestion moderne des conflits sans les instruments juridiques et administratifs idoines ?

Ce que nous aurions souhaité

Nous aurions souhaité que cette innovation à laquelle nous aspirons depuis bien longtemps, soit un véritable projet. Nous aurions souhaité qu’au travers d’une étude indépendante et dans le respect de l’anonymat, les agents de la fonction publique soient tous questionnés, même via des formulaires par internet.

L’objet de cette enquête aurait été simple : connaître la perception du management actuel et celui souhaité. Connaître les positionnements des agents en matière de méthode de travail. Connaître également le positionnement de chacun sur le service public rendu, les possibilités et les méthodes d’amélioration.

Une fois cette étude réalisée et les résultats rendus publics, nous aurions apprécié que les objectifs de la démarche d’innovation en soient le fruit, qu’ils soient parfaitement connus et discutés.

La méthode Lego®Serious®Play aurait été le moyen dans chaque service et établissement de décliner l’objectif global. Car on n’innove certainement pas de la même façon dans le domaine de la santé que dans celui de l’éducation ou de l’urbanisme.

Les organisations syndicales devraient être parties prenantes tout au long du processus afin de favoriser l’acceptation par les agents des changements à venir. Car comme nous l’avons déjà rappelé, de notre point de vue, les syndicats constituent une courroie de transmission importante entre administration et agents.

Innovation ? chiche !

Ce ne sont certainement pas les agents de la fonction publique et les organisations syndicales qui ont le plus peur de l’innovation.

Au contraire, les méthodes de travail vieillottes et surtout les modes de management souvent archaïques et brutaux méritent d’être profondément réformés.

Mettons-nous autour d’une table, partageons le projet. N’écartons personne et surtout pas ceux qui sont véritablement au contact des usagers. Jouons au Légo®, si tel est le moyen d’avancer. Mais fixons des objectifs clairs, précis, compréhensibles et compris par tous et en particulier par les chefs de service et les directeurs d’établissement.

Aidons ces responsables à la « révolution » qui les attend ! Car si l’on va au bout des méthodes modernes de management, ces responsables auront le sentiment de perdre le contrôle et donc … leur autorité.

L’innovation dans l’administration devra sans aucun doute se traduire également par un changement de mentalité de la part de nos gouvernants dans la considération apportée au travail des fonctionnaires. Elle devrait vraisemblablement se traduire par une réforme en profondeur du corpus réglementaire dont la mise en œuvre incombe aux agents de l’administration. Cette réforme devra tenir compte des disparités ainsi que des situations sociales et économiques des différents archipels de la Polynésie française. Enfin, il ne faudra pas oublier d’ajuster les moyens matériels et humains avec les objectifs fixés pour chaque service ou établissement.

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