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La crise sanitaire que le Fenua traverse plonge bien des familles dans la plus grande tristesse. Le personnel de la fonction publique n’échappe pas à ce drame, à la fois du côté des endeuillés, mais aussi du côté des soignants qui s’investissent au quotidien pour éviter le plus possible la catastrophe.

A tous ceux qui, de près ou de loin, ont été confrontés au décès d’un proche, nous adressons nos sincères condoléances. A tous ceux qui se battent chaque jour pour sauver des vies, nous disons sincèrement merci.

La première vague s’était accompagnée d’un confinement strict durant lequel bon nombre de fonctionnaires qui le pouvaient, avaient été placés en télétravail. Certes, la réglementation n’avait pas prévu cette possibilité, mais devant la contrainte, les services s’étaient adaptés comme ils le pouvaient. Dans l’ensemble, cela avait plutôt bien fonctionné.

Au sortir de cette première crise, nous avons rapidement entendu parler d’une loi à venir pour encadrer cette organisation si particulière, mais très rapidement, le sujet ne semblait plus véritablement d’actualité. Aujourd’hui, alors que cette nouvelle vague de circulation du virus est bien pire que la première, règne un silence complet autour de ce qui s’apparente à un véritable choix de société. Pourtant, le télétravail a montré son efficacité dans le ralentissement de la propagation du virus lors du premier pic épidémique.

Il constitue une réponse adaptée à la problématique trop fréquente du travail en espace ouvert (open-space), pratiqué dans les activités de service. Saluons ici l’intelligence du Syndicat de Promotion des Communes qui a d’ailleurs fait passer le personnel concerné en présentiel alterné depuis plusieurs semaines.        

Si le télétravail n’est pas accessible à tous, de plus en plus d’emplois sont éligibles 

C’est une évidence, seuls certains emplois peuvent être déployés en télétravail. Pour bien d’autres, cette possibilité n’existera jamais. Mais dans des économies qui se tournent de plus en plus vers les services, le nombre d’emplois qui pourront être réalisés à distance ne cesse de s’accroître. Il suffit d’un peu d’imagination pour ouvrir des possibilités qui semblent aujourd’hui inaccessibles.

La médecine a déjà prouvé que des opérations chirurgicales complexes pouvaient être réalisées à distance. Des chirurgiens installés devant de simples manettes ont ainsi opéré, par robots interposés, des patients qui se trouvaient de l’autre côté de la planète.

A l’échelle du Fenua, certaines îles peinent à trouver des enseignants. Pourquoi ne pas envisager l’enseignement à distance ? Un enseignant filmé dans une salle de classe reconstituée, pourrait parfaitement dispenser son cours à deux ou trois classes simultanément avec l’appui d’auxiliaires qui seraient sur place.

D’autres territoires, soumis aux mêmes contraintes d’espace et caractérisés par la présence de multiples petites communautés isolées, en ont déjà une expérience plus ou moins ancienne (Alberta et Territoire du Yukon canadien, Territoire du Nord Australien, etc…) qui pourraient être autant de sources d’inspiration.

Un engouement du secteur privé dans de très nombreux pays

Dans bien des pays, le secteur privé, plus réactif que le secteur public, a maintenant érigé en règle le télétravail, au-delà même des nécessités sanitaires, car il en a compris tous les avantages. Ce système externalise de nombreux coûts, comme l’électricité, les frais liés aux impressions, l’abonnement internet, des frais de parking, etc. Cette organisation du travail ne nécessite plus d’immenses bureaux pour y accueillir tout le monde en même temps. Les entreprises réduisent ainsi leurs espaces, donc leurs loyers, réduisent leurs coûts en assurance, etc.

Dans le même temps, les études sérieuses montrent que la production n’a pas baissé, voire qu’elle a augmenté. Et bien des salariés ne cachent pas y avoir gagné en qualité de vie.

Pour nombre de pays, il n’y aura pas de retour en arrière, car la rentabilité s’est accrue pour les entreprises qui ont su s’adapter. En réduisant leurs coûts, ces entreprises gagnent en compétitivité et se placent alors mieux sur leur marché. Pour les salariés qui ont maîtrisé son fonctionnement, le télétravail offre un gain en qualité de vie qui rendra difficile également tout retour en arrière.

Être en phase avec la non linéarité du travail

L’activité professionnelle est loin d’être linéaire. Il y a des phases de plus grande activité et des périodes plus creuses. Cela concerne tout autant le secteur public que le secteur privé. Le télétravail est ainsi un moyen d’ajuster l’effort de l’agent aux fluctuations.

Cette situation oblige à redéfinir le contrat de travail qui lie employeurs et salariés. Aujourd’hui, contractuellement, l’employé doit 39 heures hebdomadaires à son employeur. Le code du travail prévoit des majorations de rémunération pour le travail nocturne et dominical. Mais avec le télétravail et la flexibilité qui l’accompagne, tout ce système vole en éclat. 

Le contrat de travail actuel est très rigide tant pour l’employeur que pour le salarié. Schématiquement, le salarié est disponible chaque jour de 8h00 à 16h00 avec 30 mn de pause pour manger et le vendredi de 8h00 à 15h00. Avec le télétravail, le salarié met à la disposition de l’employeur 169 heures de travail mensuelles, peu importe le moment où ces heures seront effectuées. Le salarié s’engage tacitement à travailler plus lorsque les besoins de l’employeur seront intenses, en contrepartie de quoi, l’employeur accepte de continuer à rémunérer le salarié de la même façon, lorsque les périodes seront plus creuses. 

Le télétravail change l’approche managériale

Aujourd’hui, bien des hiérarchies s’assurent simplement que les salariés sont bien à leur poste à 8h00, qu’ils repartent à 16h00 et qu’entre temps, ils n’ont pas pris plus de 30 mn pour manger. Caricaturalement, on pourrait presque ajouter, peu importe ce qu’ils ont fait durant ce temps, du moment qu’ils ont répondu aux questions qui leur étaient posées.

Avec le télétravail, on change d’approche car il y a un résultat attendu. Managers et employés doivent s’entendre sur le temps nécessaire à l’accomplissement de la tâche, du moment auquel le travail devra être livré et sous quelle forme. Ils doivent décider de l’approche à adopter en cas de difficulté. D’une certaine façon, contrairement à ce que pensent bien des détracteurs de cette organisation, le télétravail impose plus de communication que le système actuel.

Les études réalisées ont montré que les agents se sont plutôt vite adaptés. En revanche les hiérarchies, et plus particulièrement les hiérarchies intermédiaires, ont eu du mal à trouver leur place. Elles découvraient que la responsabilité n’était pas conditionnée au seul fait d’avoir des agents sous son autorité. Elles constataient qu’il fallait savoir parler aux gens, leur donner des objectifs, les motiver, les écouter et les aider à contourner les difficultés auxquelles ils étaient confrontés, mais aussi les contrôler.

réfractaires au télétravail sont souvent ceux qui, d’une certaine façon, découvrent la réalité de leurs fonctions.

Le télétravail, ce n’est pas faire « comme on veut »

Le télétravail est une organisation dans laquelle le salarié s’engage à être disponible aux besoins de son employeur sur une plage horaire donnée. Cela ne signifie pas qu’il doive rester derrière son espace de travail à attendre qu’on lui dise quoi faire. Les moyens technologiques dont nous disposons aujourd’hui permettent d’être nomades tout en restant accessibles à tout moment. Il faut donc orchestrer sa mobilité tout en étant capable de réagir rapidement à la demande de sa hiérarchie.

Comme évoqué précédemment, le télétravail crée une nouvelle approche managériale, à laquelle notre administration n’est certainement pas préparée. Il s’agit en effet d’être capable de définir précisément une tâche, le temps qu’il faut pour la réaliser puis le moment ultime auquel le travail devra être livré.

Une fois ces paramètres définis, l’agent s’organise comme il le souhaite. Il peut travailler la nuit, réaliser la tâche immédiatement et s’en libérer, attendre le dernier moment pour commencer, au risque de ne pouvoir respecter sa part de contrat… Peu importe l’organisation, du moment qu’au jour J, à l’heure H, le travail est remis, conforme aux attentes.

Cette souplesse s’accompagne souvent d’une plus grande sévérité lorsque le travail n’est pas rendu dans les temps. Cette sévérité est toute légitime, elle n’est que la juste contrepartie de la souplesse accordée au salarié.

Contrairement aux visions apocalyptiques, le télétravail, ce n’est pas rompre tout lien social

Les détracteurs du télétravail présentent souvent des visions extrêmes de ce mode organisationnel. Ils décrivent la rupture du lien social, l’absence de communication, etc.

En réalité, il n’est rien de tout cela. Le télétravail est une organisation choisie. Elle n’est en général par permanente. Il s’agit dans la quasi-totalité des cas d’une alternance de télétravail et de présentiel. Soit deux ou trois jours de télétravail par semaine, soit une semaine complète de télétravail puis du présentiel, bref, c’est un peu selon les capacités de chacun et les accords à trouver entre hiérarchies et agents.

Il est à noter que c’est déjà la réalité des enseignants, dont le temps présentiel va de 27 heures pour un enseignant du premier degré à 15 heures pour un professeur agrégé du secondaire, le reste étant destiné à préparer les cours, monter des projets pédagogiques ou corriger des copies… hors du lieu d’enseignement.

Le télétravail impose davantage de « vraie » communication que le système actuel. Il oblige les hiérarchies à se soucier de ce que font véritablement leurs équipes, il oblige à des rapports fréquents et directs avec les agents. Le résultat est plus important que le temps de présence. Certes, il y a moins de discussions autour de la machine à café, les potins et les rumeurs circulent moins, mais est-ce un mal ?

Lorsque des réunions sont organisées en présentiel pour des personnes qui télétravaillent, celles-ci sont en général mieux préparées, structurées, les agents savent pourquoi ils se déplacent et ce qui est attendu de leur présence. Aujourd’hui, bien des réunions se tiennent à l’improviste, sans véritable objectif et dévorent inutilement le temps des participants.Le télétravail améliore alors la qualité des relations et de la communication. Mais pour que le dispositif fonctionne, il faut que les hiérarchies, surtout intermédiaires, y soient formées.
L’accueil des administrés doit rester une priorité pour une administration, c’est une évidence. Il n’est donc pas possible de tout gérer à distance. Néanmoins, pourquoi ne pas prévoir l’organisation de rendez-vous en visio-conférence avec ceux qui vivent dans les îles ou qui viennent de loin ? Pour cela, rien de plus simple que de mettre à la disposition des administrés dans chaque mairie ou mairie associée, un ordinateur équipé d’une caméra avec les liens préétablis vers les différentes administrations (contributions, affaires sociales, urbanisme, CPS, CCISM, affaires foncières, etc.).

Dans l’administration, il n’est pas rare que l’on télétravaille… depuis son bureau

Bon nombre d’agents de la fonction publique se rendent à leur travail chaque matin en passant près d’une heure dans les embouteillages, ils rentrent dans leur bureau, allument leur ordinateur, se connectent au serveur de leur service, puis travaillent. En fin de journée, ils coupent la connexion au serveur, quittent leur bureau, reprennent leur voiture, et passent à nouveau une heure dans les embouteillages avant de rentrer chez eux.

D’une certaine façon, ces personnes sont venues télétravailler depuis leur bureau puisque le serveur informatique lui, ne s’y trouve généralement pas. Evidemment, ce n’est pas forcément comme cela tous les jours, mais ça l’est assez souvent pour bon nombre de personnels administratifs. Quel est alors le sens de devoir se déplacer en perdant deux heures dans les transports ? Ce temps est perdu tant pour l’employeur que pour le salarié.

De manière sociétale, le télétravail modifie la relation au travail, au temps et à l’espace

Un salarié qui peut télétravailler et qui souhaite le faire, renverse d’une certaine façon le lien qui existe entre sa vie personnelle et le travail. Aujourd’hui, la vie personnelle s’ajuste à celle du travail. Avec le télétravail, la vie personnelle reprend une place qu’elle avait perdue. Les deux agendas sont souvent orchestrés ensembles et la vie personnelle se retrouve sur un pied d’égalité avec la vie professionnelle. Sans doute est-ce aussi cela qui rend réfractaires bon nombre d’employeurs.

Peu à peu, c’est une toute autre gestion du temps qui se met en place. On libère du temps pour les siens et soi-même lorsque cela est possible, et l’on exploite des moments de la journée différents pour respecter ses engagements professionnels. On peut même aller jusqu’à choisir de travailler un week-end complet pour profiter d’une semaine tranquille.

Lorsqu’un agent n’est pas contraint de se déplacer chaque matin pour aller sur son lieu de travail, de louer une place de parking pour sa voiture, de payer des repas au snack, il économisera des sommes assez conséquentes qui seront redistribuées de manière plus satisfaisante, sans doute dans des loisirs.

A long terme, la gestion de l’espace s’en trouvera modifiée. En effet, pourquoi chercher à vivre le plus près possible de son lieu de travail puisque cet espace peut désormais se trouver n’importe où ? Il est alors possible d’accepter d’habiter hors des grosses communes, proche de la nature, là où les prix sont aujourd’hui bien plus bas. La pression immobilière peut s’en retrouver allégée sur les communes déjà surchargées et les prix des logements devraient logiquement y baisser.

Les déplacements domicile-travail seront réduits, tout comme les déplacements domicile-école, impliquant de moindres embouteillages chaque matin, et donc un meilleur accès pour ceux qui ne peuvent télétravailler. En effet, pourquoi choisir une école proche de son lieu de travail s’il est possible de travailler depuis son domicile.

Certaines communes en métropole ont déjà flairé l’opportunité. Elles ont créé des espaces de travail où il est possible de bénéficier d’un box dédié pour un loyer mensuel inférieur à celui d’un parking. La location comprend un bureau, une chaise, l’électricité, et surtout, un accès internet à très haut débit. Ainsi, il est possible de recréer du lien tout près de chez soi avec des personnes qui sont dans des situations comparables, sans être obligé de perdre son temps dans les transports.

Certains Pays se sont même lancés sur le créneau pour offrir des conditions de vie inégalables à des personnes souvent bien rémunérées qui peuvent travailler n’importe où dans le monde.

Le télétravail est un choix de société

Pour que le télétravail fonctionne, il faut des connexions internet adaptées et parfaitement réparties. La Polynésie française est aujourd’hui reliée au reste du monde par la fibre optique. Elle a donc tous les outils pour offrir une ouverture rapide sur le reste du monde. Petit à petit la fibre se déploie également sur Tahiti et dans les autres îles, mais c’est davantage au gré des abonnés qu’en fonction d’un choix de société.

Pour que le télétravail se démocratise, qu’il devienne attractif, qu’il permette une meilleure gestion de l’espace et des déplacements quotidiens des populations, il doit répondre à un choix de société. Il faut une démarche pro-active du politique dans laquelle toutes les habitations accèdent au haut débit à un coût raisonnable, sans que le débit du réseau ne soit bridé.
Le projet de loi sur le télétravail peine à montrer le bout de son nez… Cependant, cette organisation du travail paraît dans le contexte actuel inéluctable. Autant alors comprendre les enjeux qui se cachent derrière.

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