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Chaque matin je me lève bien tôt, comme la plupart d’entre vous ! J’ai une vie de famille et des enfants en bas âge. Comme vous, je cours pour que tout soit prêt et moi aussi je vais à l’école.

Je vais certes à l’école pour y accompagner mes enfants, mais je vais aussi à l’école pour y travailler. Je ne suis pas instit’, et pourtant je m’occupe de l’apprentissage de certains enfants afin qu’ils puissent eux aussi espérer une vie meilleure grâce à l’école. Je suis une compensation humaine au handicap.

Je suis un « agent d’éducation pour élèves en situation de handicap ». Ce nom ne vous dit peut-être rien car pendant des années, nous avons été dénommés « auxiliaires de vie scolaire ». Nous accompagnons les enfants en situation de handicap afin qu’ils puissent bénéficier, au même titre que les élèves dits ordinaires, du meilleur apprentissage possible. Celui qui leur garantira une place à part entière dans la société.

Il nous aura fallu plus de dix années de revendications pour être enfin reconnus comme « personnel éducatif ». Nous accueillons ces enfants à l’école et nous favorisons leur intégration auprès de leurs camarades. Nous permettons leur apprentissage dans une école moderne qui a fait le choix de les accueillir… mais qui paradoxalement ne sait pas encore très bien comment les recevoir. Nous les accompagnons dans la découverte de ce monde scolaire qui les prépare à leur vie dans une société qui, elle-même, ne sait pas clairement définir quelle est leur place.

Outre l’accueil, notre rôle consiste en l’accompagnement à l’hygiène, la sécurité, mais surtout et avant tout, à garantir leur instruction. Nous sommes cette compensation humaine qui permet à ces enfants extraordinaires de suivre une scolarité « normale ». Nous créons du lien là où le handicap l’a rompu. Car oui, le handicap isole ces enfants et leurs familles.

Au fil du temps nous nouons une relation spéciale avec ces enfants si particuliers, et cette relation est un atout pour l’enseignant. Celui-ci n’a pas le temps de se préoccuper de chacun de ses élèves individuellement et encore moins des élèves qui nécessitent le plus d’attention. Personne ne les blâme pour cela. Nous sommes donc le vecteur essentiel d’apprentissage pour ces enfants qui ne peuvent naturellement progresser au même rythme que les autres.

Je ne me contente pas de venir en classe, de faire mes heures et de repartir. J’étudie la situation de ces enfants en dehors de mes heures de présence. Je me documente sur leur pathologie et comment l’aborder. J’essaie de tisser des liens avec les parents pour les mettre en confiance mais aussi pour apprendre d’eux. Car les parents sont les premiers « spécialistes » de leur enfant.

Malgré cela, personne n’est préparé à affronter la vie avec un enfant handicapé. Les parents eux-mêmes découvrent et apprennent. Pour bon nombre d’entre-deux, cette découverte et cet apprentissage dureront toute une vie.

Je suis parfois confrontée à des moments violents, des moments de désespoir, de souffrance, d’incompréhension et d’injustice face au handicap. Pour ces enfants également, il faudra toute une vie pour appréhender leur handicap, l’accepter et se faire une place dans une société qui n’est pas encore tout à fait prête à les accueillir comme ils le mériteraient. Ma présence à leurs côtés dans les écoles est un pas… un seul.

Ma patience, ma relation de confiance, mais aussi ma formation sont mes armes. Malgré tout, j’avoue être parfois dépassée par l’ampleur de la tâche. En réalité, ce n’est pas le handicap lui-même qui s’avère pesant, mais plutôt les perspectives, ou l’absence de perspectives plutôt, qui découragent. On ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’avenir de ces enfants. Nous sommes supposés ne pas nous attacher et prendre de la distance. Comme si ces émotions se contrôlaient. J’ai choisi de travailler avec des enfants, extraordinaires de surcroît, alors oui, je m’attache.

Sans ma présence, ces enfants seraient très vite exclus du cadre scolaire. Ils seraient mis de côté, contraints au silence dans une salle de classe ou alors placés dans des établissements spécialisés. Au pire, ils seraient juste livrés à eux-mêmes. Leur présence dans nos écoles doit permettre à tous les autres enfants de mesurer leur chance. Elle doit aussi permettre de faire évoluer notre regard sur la différence. Je crois fermement en ce projet d’école inclusive qui garantira cette égalité des chances et davantage d’empathie dans les regards et les comportements.

Rappelons que l’exploit d’un enfant est une affaire toute relative. Usain BOLT qui courrait le 100 mètres entre 11 secondes ferait une contre-performance dont la presse ferait sa une alors que le commun des coureurs ne parvient pas à ce chrono. En revanche, un unijambiste qui parviendrait à courir la même distance en 20 secondes accomplirait un véritable exploit… mais cela ne se verrait malheureusement pas.Je suis fière de me lever chaque matin pour ces enfants. Je suis fonctionnaire et je suis un agent d’éducation pour élèves en situation de handicap.