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Le syndicat de la fonction publique vient de faire tomber deux arrêtés devant le Tribunal Administratif de Papeete. En général nous ne faisons pas de publicité autour de nos procédures devant la juridiction administrative, cependant celle-ci est assez révélatrice des rapports de domination entre Etat et Pays. Petit exposé…

De quoi s’agit-il ?

Par arrêtés 2060 et 2057 CM du 7 octobre 2022, l’ancien Président de la Polynésie française avait tenté de créer auprès de la Direction Générale de l’Education et des Enseignements, des Comités Techniques Paritaires, hygiène et sécurité des enseignements des premier et second degrés.
A priori, rien d’inquiétant dans ces deux arrêtés, sauf que dans le secteur de l’éducation ces Comités Techniques Paritaires existent déjà et qu’ils fonctionnent !

Pour se défendre, la Polynésie française a tenté de se justifier en indiquant que ces comités n’étaient destinés qu’aux fonctionnaires d’Etat ! Bel argument, mais faux argument puisque le tribunal a constaté qu’ils touchaient également les fonctionnaires du Pays.

Il est vrai que la représentation des agents mis à la disposition du Pays par l’Etat fait défaut. Cela fait bientôt deux ans que notre syndicat demande en vain que les agents de l’Etat (CEAPF ou mis à disposition) intègrent les Comités Techniques Paritaires existant, comme le prévoit la réglementation.
Visiblement, dans le secteur de l’éducation, particulièrement administré par les fonctionnaires d’Etat, ce mélange n’est pas souhaité. Il semble préférable de ne dépendre que de ses propres règles et de se les fixer soi-même, sans que les élus de Tarahoi aient leur mot à dire.

Telle est sans doute la finalité des deux arrêtés annulés qui constituent des ersatz de réglementation ayant pour objet de régler loin des regards trop curieux l’organisation des établissements des premier et second degrés.

En interne, il se dit que ces arrêtés ont été initiés par le Vice-Rectorat, via le bureau des ressources humaines de la DGEE dirigé par des fonctionnaires d’Etat.

Pour la composition de ces comités, point d’élections ! Juste une cooptation dans laquelle le rectorat choisirait ses interlocuteurs. Belle leçon de démocratie.

Ainsi, selon ces deux arrêtés, les modalités de représentation des personnels ont été exclusivement renvoyées à un « protocole d’accord » signé le 21 octobre 2022. Or ce protocole n’a été signé que par des organisations non représentatives au sens de la réglementation applicable localement ou par des personnes non membres d’une organisation représentative.

En termes d’opacité et d’entourloupe, difficile de faire mieux.

Un invité surprise au Tribunal Administratif

En général, la Polynésie française est représentée au Tribunal Administratif par les juristes du Secrétariat Général du Gouvernement (SGG) ou de la Direction Générale des Ressources Humaines (DGRH) qui bénéficient d’une délégation du Président du Pays.

Le jour de l’audience, c’est le représentant du Vice-Recteur qui est venu lui-même défendre ces deux arrêtés et indiquer que le SGG déposerait une note en délibéré !

Qui a autorisé, voire mandaté, cet agent de l’Etat extérieur à la procédure à se présenter ainsi à l’audience ? Notre requête opposait uniquement notre syndicat à l’Administration polynésienne… pas à l’Etat ! A-t-il reçu mandat ou délégation du Président du Pays ?

L’affaire soulève dès lors une véritable inquiétude pour nous, agents du Pays, attachés au respect du principe d’autonomie constitutionnelle du Fenua.

Autonomie « Camembert »?

En ce qui concerne l’éducation, l’Etat a transféré d’importantes compétences au Pays en 1984. Certes, le personnel lié à l’Education Nationale est rémunéré par l’Etat, mais il est mis à la disposition de l’administration territoriale.

Il en découle donc que le rectorat et le vice-rectorat travaillent en théorie sous les compétences des ministres de la fonction publique et de l’éducation du gouvernement du Pays et non du gouvernement central. Normalement, l’Etat n’est qu’un simple pourvoyeur de moyens. En pratique, ce n’est visiblement pas le cas.

Le secteur est géré, pour ne pas dire phagocyté, par des agents de l’Etat qui sont contrôlés et notés par les inspecteurs du vice-rectorat. Parallèlement, le code de l’éducation est progressivement venu empiéter sur les compétences du Pays sans provoquer de réaction.

Plusieurs démarches relevant normalement de la compétence du Pays sont dans les faits administrées par le Vice-Recteur (en particulier les déclarations des écoles privées hors contrat). Des dépenses de compétence de l’Etat sont réglées par le Pays et des champs entiers du statut d’autonomie n’ont pas été mis en œuvre, notamment dans le secteur universitaire.

En violation flagrante du statut d’autonomie, c’est toujours le ministre de l’éducation du gouvernement central qui nomme les agents comptables des établissements publics d’enseignement, en lieu et place du conseil des ministres.

Les logiciels exploités sont ceux de l’Etat, notamment celui de la comptabilité des établissements publics qui permet donc à l’Etat d’avoir une vision claire des dépenses du secteur. Il en découle que la réglementation comptable appliquée est celle de l’Etat… et non celle du Pays.

Les ministres de l’éducation du gouvernement du Pays ont presque systématiquement été des agents de l’Etat en raisons de leur rattachement professionnel. Dans l’histoire récente, seul Monsieur Michel LEBOUCHER n’était pas un « fonctionnaire » d’Etat… mais cependant un « agent » de l’Etat tout de même, comme tous les enseignants du secteur privé sous contrat avec le Pays.

Ainsi, dans l’éducation, les fonctionnaires polynésiens ont l’habitude de parler d’autonomie « camembert ». Cette image renvoie à une boîte de « Camembert » dont on aurait juste changé l’étiquette sans en changer le contenu en 1984. Il est aujourd’hui écrit sur l’emballage « Punu pu’a toro », mais le goût de son contenu est à priori demeuré le même : du camembert.

Dans ce contexte, pas de surprise d’apprendre que la démarche ayant conduit à la présente situation a été initiée par l’Etat qui a poussé pour que ces arrêtés soient adoptés rapidement, sans que les représentants du peuple soient saisis ou que les règles en vigueur localement soient appliquées.

Un autre syndicat spécifique à l’éducation avait lui aussi signalé à plusieurs occasions l’irrégularité de la démarche sans pour autant ester devant le Tribunal Administratif. La ministre de l’éducation et de la fonction publique du précédent gouvernement (fonctionnaire d’Etat également), avait « courageusement » botté en touche.

Ces arrêtés ont donc été annulés grâce à notre action en justice, comme quoi il faut aller au bout de ses convictions.

Certaines administrations d’Etat semblent avoir du mal à lâcher leurs compétences

Loin de nous l’idée de vouloir lancer un débat sur l’autonomie. Ce n’est pas notre rôle et sincèrement, peu importe. Nous défendons le service public polynésien et ses agents, donc par-dessus tout, le respect des périmètres tels que définis par les textes légaux.

Ainsi, lorsqu’un cadre législatif a été défini et que sont proposées des dispositions réglementaires pour les agents de la fonction publique, il nous appartient de nous assurer que ce cadre législatif est bien respecté.

Dans l’éducation, les agents de l’Etat semblent avoir beaucoup de mal à accepter que bon nombre de compétences doivent suivre les règles fixées par le Pays. Ils oublient visiblement que le statut d’autonomie est passé par là.

Bien des règles administratives spécifiques à la Polynésie française sont alors perçues de manière très « décorative ». Vigilance et procédures devant les tribunaux permettent de rappeler qu’ici nous disposons d’une assemblée représentative et qu’il n’appartient pas aux agents hexagonaux de fixer les règles à leur convenance.

Victoire… mais vigilance

Ne boudons pas notre plaisir, nous avons gagné devant le Tribunal Administratif. Cependant, nous gagnons sur un point de droit tellement évident que le juge ne pouvait décemment pas statuer autrement.

Légalement, la création de ces Comités Techniques Paritaires ne pouvait être obtenue que par une délibération de l’Assemblée Territoriale et non par le Conseil des Ministres.

Nous aurions préféré gagner sur l’immoralité et l’illégalité de comités techniques paritaires fantoches, tels qu’ils étaient planifiés par les deux arrêtés annulés.

Nous redoutons fort de voir l’Etat revenir à la charge auprès du nouveau gouvernement pour tenter d’obtenir une délibération de l’Assemblée Territoriale.

N’oublions pas que le Vice-Recteur avait demandé et obtenu du gouvernement précédent qu’il fasse obstruction à la requalification d’agents de l’éducation.

Ces femmes et ces hommes sous contrat à durée indéterminée exerçaient comme enseignants, techniciens ou agents administratifs et demandaient à être reconnus dans le corps des CEAPF.

L’Etat ne souhaitant pas cette requalification avait imposé et obtenu du précédent gouvernement qu’il s’y oppose au motif que ces agents ne les méritaient pas car ils n’avaient pas le niveau !

Pendant des années ils avaient donné satisfaction, mais dès lors qu’ils réclamaient leur requalification, ils n’avaient plus le niveau. Décidemment, l’Etat n’est pas à un paradoxe près.

Soulignons que ces requalifications constituaient la plus massive océanisation des cadres depuis l’intégration des personnels territoriaux dans le corps des CEAPF en 1968.

Cet épisode permettait déjà de s’interroger sur les véritables décideurs : étaient-il à Tarahoi ou à Titioro ?
La création de ces nouveaux Comités Techniques Paritaires souhaités par le vice-rectorat serait une catastrophe sur le plan social. Nous aurions des Comités Techniques Paritaires destinés au personnel de l’administration polynésienne, d’autres pour le personnel de l’Etat, le tout pour des agents travaillant dans les mêmes établissements !

Il n’y aurait pas plus inepte que d’avoir potentiellement des règles s’appliquant à une partie des agents (car validées par un des CTP) mais ne s’appliquant pas à l’autre (car non validées par le second CTP).

Les règles d’hygiène et de sécurité des agents travaillant dans un même établissement ne devraient-elles pas être les mêmes pour tous les agents ? A priori, pour l’Etat la réponse semble paradoxalement « non ». Pour l’Etat, ses agents ne devraient a priori pas se plier à d’autres règles que celles qu’ils se choisiraient.
Reste le plus difficile. Forcer la hiérarchie de la DGEE composée majoritairement d’agents de l’Etat à respecter les compétences du CTP autonome de la DGEE.

Pour exemple, malgré la demande des élus des Centres des Jeunes Adolescents (CJA) de fixer les conditions de la délégation au conseil d’établissement, la hiérarchie fait la sourde oreille à l’application de la Loi. Il est vrai que les représentants de l’Etat avaient déjà pour projet à l’époque de shunter la compétence du CTP autonome et de créer des organismes… à leur convenance.

Nous resterons donc très vigilants pour la suite. Le risque de l’Autonomie « Camembert », c’est que dans les administrations où la présence de l’Etat est encore très forte, les fonctionnaires du Pays soient progressivement transformés en simples supplétifs des agents de l’Etat. A la clef, nous courrons le risque de voir les évolutions de carrière de nos propres agents limitées.

Pour exemple, dans l’éducation, la direction tenue par les agents de l’Etat freine toujours à la mise en place d’un statut de « professeur », cantonnant les agents polynésiens à des cadres d’emploi subalterne.
Les budgets formation sont principalement absorbés par les agents de l’Etat. Quand aux postes, seuls 50% sont occupés par des résidents… après pourtant 40 ans de transfert de compétences.

A titre de comparaison, dans le secteur de la santé pour lequel les compétences ont été transférées au Pays en même temps que l’éducation, on compte très peu de fonctionnaires d’Etat.

Dans l’éducation ces 50% de résidents dans l’enseignement secondaire ont été atteints en 1995 ! Depuis 30 ans, le véritable transfert s’est arrêté !

L’autonomie « Camembert » provoque de facto le maintien d’un système où la population polynésienne demeure peu ou prou spectatrice de décisions prises pour elle. Tout cela est contraire à la philosophie du statut d’autonomie de 1984.

Fidèles au respect des textes votés par le législatif, et cohérents avec notre objet social, nous ne pouvons que nous opposer à pareilles situations afin de défendre les intérêts des agents publics de la Polynésie française que nous représentons.

Souvenons-nous que « Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien. » (Edmund Burke – 1729 – 1797)

Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.