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Une infirmière s’est donnée la mort aux marquises, sur son lieu de travail, pendant la période électorale. Toutes nos pensées vont donc en premier lieu à ses proches à qui nous adressons toutes nos condoléances.

Ce drame était pour nous tristement prévisible. Les circonstances exactes qui entourent cette tragédie ne sont connues que des intimes, mais il ressort clairement des premiers éléments que la souffrance au travail à malheureusement pesé lourd.

Une administration apathique

Depuis près de deux ans maintenant notre syndicat alerte notre administration, et la Direction de la santé en particulier, sur la souffrance au travail.

Le sujet ne semble hélas pas intéresser particulièrement, et ce n’est que face à des situations d’urgence spécifique, que nous avons pu obtenir quelques résultats. Malheureusement, le suicide ne prévient que rarement…

Existerait semble-t-il, une personne en charge de la souffrance au travail au sein de la Direction Générale des Ressources Humaines. Cependant, même sans aucune publicité autour de son existence, elle serait déjà débordée. Cela en dit long.

En termes de communication, il est d’ailleurs totalement saugrenu qu’une personne ait été affectée à cette problématique et qu’aucune publicité n’ait été faite dans les services et établissements du Pays. C’est de manière détournée que notre syndicat a obtenu cette information. Que penser alors de cette initiative ?

Une violence qui prend différents visages

Cette violence au travail qui génère tant de souffrance prend de nombreux visages. Nous en avons déjà parlé dans certaines de nos lettres mensuelles.

Nous avons rencontré des hiérarchies sures de leur impunité, dénuées de toute compétence managériale, et qui assument leur responsabilités sur la base d’un autoritarisme crasse flirtant avec le harcèlement. Ces personnes n’ont aucune considération pour les agents et ne se soucient nullement des conditions de travail.

Nous avons rencontré des hiérarchies qui inversement ne se préoccupent pas de grand-chose. Elles font mine d’entendre mais n’écoutent jamais. Elles ne répondent bien souvent même pas aux courriers qui leur sont adressés. Elles ne se rendent pas compte que le silence dont elle font preuve est d’une rare violence. Ce silence est la traduction d’un mépris et d’une condescendance. Quoi de plus violent que de se voir jeter à la face que vous n’êtes rien, et que ce rien ne vaut donc pas la peine qu’on lui réponde.

Nous avons rencontré des situations d’abandon total où les agents se retrouvent dans des placards sans trop savoir ce qu’ils ont fait pour en arriver là. Des cercles d’amitié et d’inimitiés se créent, comme dans la cour de l’école… sauf que nous n’avons plus 8 ou 10 ans. Ces situations se rapprochent beaucoup du silence évoqué précédemment.

Nous avons également rencontré ces personnes victimes des petits arrangements entre amis. Des règles existent, mais notre administration les bafoue allégrement pour permettre à certains de jouir de passe-droits. Ainsi avons-nous vu des mutations échapper à des personnes pourtant réglementairement prioritaires, pour satisfaire des personnes politiquement ou affectivement mieux placées.

Ces petites magouilles faites en catimini laissent bien des traces et des rancœurs chez les agents. Elles sont tout aussi violentes que l’autoritarisme, car elles viennent vous rappeler que tous les efforts que vous avez accomplis pendant des années pour évoluer, peuvent être finalement totalement vains.

La santé, un secteur sous haute pression

Le secteur de la santé est très particulier car il n’y est pas simplement question de décisions bassement administratives. Ici, il est question de vie et de mort.

Pour garantir à nos populations les meilleurs soins, nos personnels de santé doivent évoluer dans un cadre agréable, respectueux, et dans lequel leur préoccupation essentielle doit demeurer la santé des gens. Or rappelons-le, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Lorsque les tracasseries quotidiennes liées au fonctionnement même de votre environnement professionnel viennent polluer votre travail, il devient compliquer d’assurer sereinement la santé des populations.

En ce sens, le Centre Hospitalier de Polynésie française et la Direction de la santé peinent à prendre la mesure du climat délétère qui ronge bien des agents.

A l’un comme à l’autre nous avons adressé des messages d’alerte, leur demandant de prendre des mesures concrètes pour faire évoluer la situation. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le silence et l’apathie règnent en maître.

La Direction de la santé peine en particulier à se réinventer. Le copier-coller de schémas métropolitains ne fonctionnera jamais dans un cadre géographique et culturel aussi spécifique que la Polynésie française.

Envoyer pour cinq ans des agents dans des endroits particulièrement isolés sans trop les assister, c’est évidemment prendre le risque que ces personnes finissent par craquer.

Comment se fait-il que l’itinérance ne soit pas la règle avec des retours réguliers sur Tahiti ou des îles de plus grande importance et mieux connectées avec la capitale administrative, comme Raiatea, Moorea ou Rangiroa ?

Pourquoi ne pas avoir des bateaux dispensaires qui navigueraient régulièrement vers les populations isolées pour assurer de la prévention et prodiguer des soins réguliers. Le cas échéant, ils pourraient rapatrier préventivement sur Tahiti, les cas les plus préoccupants.

Une petite histoire qui en dit long

Il y a quelques années maintenant, un cadre administratif, épuisé d’avoir avalé les couleuvres de ses hiérarchies, s’est lui aussi donné la mort. Certains argumenteront qu’il était fragile psychologiquement… peut-être. Mais toujours est-il que le vase s’est rempli aussi de cette souffrance au travail qui n’avait jamais été entendue.

Il s’est trouvé que ce cadre avait demandé la révision de sa notation et qu’une Commission Administrative Paritaire s’est donc tenue pour en discuter. Hélas, son décès est intervenu avant cette réunion. Celle-ci s’est tenue, et lorsque son cas aurait dû être évoqué, les représentants de notre administration ont simplement indiqué que nous pouvions passer au cas suivant. Cette personne qui avait donné beaucoup pour notre administration se voyait considérée comme un simple « dossier ».

Je suis alors intervenu pour rappeler que son suicide nous imposait au contraire d’en discuter. Balayer ainsi son cas lors de cette CAP, consistait d’une certaine façon à le faire disparaître une seconde fois.

J’ai donc demandé que notre administration tire au contraire les leçons de ce qui s’était passé et qu’elle s’interroge sur ses responsabilités. Hélas, aucun représentant de l’administration n’a souhaité s’engouffrer dans ce débat pourtant si important. On me fit comprendre que le temps était compté et qu’il fallait avancer…

Aujourd’hui, ce nouveau drame témoigne de l’aveuglement de notre administration et de son incapacité à se lancer dans une autocritique.

Suite à ce drame des Marquises, quel accompagnement ?

Nous espérons que la Direction de la santé à très rapidement mis en place une cellule d’écoute avec pour ambition de mesurer sa part de responsabilité dans ce drame.

Mieux encore, nous espérons que le décès de cette jeune femme ne sera pas vain et que de profondes réformes organisationnelles et managériales seront prises.

Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.