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La constante dégradation des conditions de travail des agents publics dans notre administration nous amène à évoquer une loi très particulière relative aux lanceurs d’alerte.
Malheureusement, nos responsables administratifs ne semblent pas connaître les contours de cette loi… et surtout ne pas en apprécier la teneur. Pour autant cette loi est destinée à produire des effets vertueux.

Eléments de contexte

L’administration n’a pas les moyens d’exercer des contrôles à grandes échelle pour s’assurer que les entreprises du secteurs privé ou les particuliers, respectent leurs obligations légales, principalement sur les plans fiscal et social.
Un peu d’histoire… Michel SAPIN, ministre de l’Économie et des Finances de François MITTERRAND fait voter en 1993, une première loi destinée à lutter contre la corruption. Ce sera la loi « SAPIN ».
A nouveau nommé ministre de l’Économie et des Finances sous le gouvernement de François HOLLANDE, il fait alors voter en décembre 2016 la loi « SAPIN 2 ». Celle-ci visait à lutter plus efficacement contre la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêt, les détournements de fonds publics et privés, ainsi que le blanchiment d’argent. Cette loi introduit alors le concept de lanceur d’alerte.
En mars 2022, ce dispositif législatif a été renforcé pour mieux protéger les « lanceurs d’alerte » (loi n°2022-401 du 21 mars 2022).
L’alinéa B de l’article 5 de cette loi est venu préciser que « Les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués qu’avec le consentement de celui-ci. Ils peuvent toutefois être communiqués à l’autorité judiciaire, dans le cas où les personnes chargées du recueil ou du traitement des signalements sont tenues de dénoncer les faits à celle-ci. Le lanceur d’alerte en est alors informé, à moins que cette information ne risque de compromettre la procédure judiciaire. »
Enfin, l’article 9 de cette même loi est venu renforcer cette protection en indiquant que « Les procédures mises en œuvre pour recueillir les signalements (…) garantissent une stricte confidentialité de l’identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies par l’ensemble des destinataires du signalement.
Le fait de divulguer les éléments confidentiels est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?

Un lanceur d’alerte est une personne qui a connaissance d’une violation flagrante de la loi par une entreprise, un particulier ou une administration et qui décide de le révéler aux autorités compétentes.
La plupart des lanceurs d’alerte interviennent pour dénoncer leurs hiérarchies qui détournent de l’argent, fraudent à la fiscalité, fraudent aux déclarations sociales, perçoivent des aides auxquelles elles n’ont pas droit, etc.
Pour autant, la loi ne définit pas de spectre d’intervention spécifique et toute illégalité grave peut faire l’objet d’une alerte.
De la même façon, cette loi ne se limite pas à la sphère privée. Ainsi, des faits survenus dans l’administration peuvent eux-mêmes donner lieu à des alertes.
D’une certaine mesure, un lanceur d’alerte n’est donc rien d’autre qu’un citoyen « éveillé ». Ce dernier est conscient de ce qui est mal et de ce qui est bien pour la collectivité, de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas.
Ce qui différencie le « lanceur d’alerte » d’un simple « délateur », c’est qu’en général le délateur agit par vengeance ou par intérêt, c’est-à-dire, dans l’espoir de tirer profit de sa délation.
Le lanceur d’alerte n’est quant à lui motivé que par une seule chose : le respect de la loi par tous, quel que soit leur statut. Il se comporte dès lors comme une sorte de chevalier blanc qui ne tire aucun profit de son alerte et des possibles condamnations qui s’en suivront.
Il sait par avance qu’il s’expose à d’éventuelles difficultés car bien évidemment, les personnes mises en cause chercheront l’origine de la fuite.
Un vrai lanceur d’alerte ne propage pas de rumeur. Il étaye ses affirmations par des preuves accablantes produites sous la forme de documents (écrits, enregistrements sonores et vidéo, photos, etc…). De simples « bruits de couloir » ou des « on-dit » ne constituent en rien des alertes.

Comment donne-t-on l’alerte ?

L’alerte commence par la constitution d’un dossier très détaillé dans lequel sont nommées les personnes qui contreviennent à la loi, et qui décrit ce qu’elles font d’illégal. Les affirmations sont généralement confirmées par des éléments solides auquel l’agent a pu avoir accès ou dont il a été témoin. Ces éléments sont alors versés au dossier.
Le simple fait d’envisager la possibilité d’un acte illégal est passible d’une alerte. Ainsi lorsqu’est sollicité par un supérieur hiérarchique ou un ministre, l’examen d’une démarche potentiellement illégale, l’alerte peut être lancée.
Le lanceur d’alerte agit donc dans un premier temps de manière très discrète et souvent solitaire afin de constituer son dossier. Lorsque celui-ci est suffisamment robuste, il doit être présenté aux autorités compétentes, c’est-à-dire celles en mesure d’effectuer le contrôle et d’appliquer des sanctions.
En toute rigueur, toute entreprise privée au-delà d’un certain seuil d’employés, les administrations communales et celles du Pays, devraient avoir mis en place une procédure de gestion des signalements opérés par les lanceurs d’alerte.

En son absence, les syndicats jouent un rôle d’intermédiaires, de facilitateurs. Ils ont vocation à accompagner ces personnes qui veulent rendre plus vertueux le fonctionnement de notre administration et plus globalement de notre société. Pour cela, les organisations syndicales doivent normalement aider ces lanceurs d’alerte à constituer leur dossier et contribuer à les protéger.
Lorsque l’alerte est lancée, l’administration a obligation de lancer une enquête approfondie pour vérifier la véracité des informations. Lors de cette enquête, conformément à la loi, l’administration a obligation de protéger l’anonymat de sa source et des personnes citées.

La petitesse du territoire est un frein aux lanceurs d’alerte

A Tahiti, tout ou presque, finit par se savoir. Chacun sait que l’anonymat peine à être respecté et il existe presque un plaisir à divulguer ce qui devrait pourtant rester secret. Cette situation refroidit donc bien des lanceurs d’alerte potentiels.
Pour autant, comme nous l’avons déjà exposé dans notre lettre mensuelle de janvier 2023, des personnes courageuses ont déjà sonné l’alerte sur des faits graves qui se sont déroulés dans notre administration. Notre syndicat est même partie prenante dans l’un de ces dossiers.
Nous étudions d’ailleurs la possibilité de faire condamner la personne qui n’a pas respecté l’anonymat de notre lanceur d’alerte. La loi est désormais suffisamment claire sur ce sujet comme nous l’avons rapporté précédemment.
Nombreuses sont les infractions qui peuvent conduire au lancement d’une alerte. Cependant, un différend personnel qui ne concerne que deux personnes ne peut conduire à une alerte. L’alerte doit concerner un problème collectif, ou une menace qui pèse aléatoirement sur des personnes.
Ainsi, outre les petits arrangements entre amis qui permettent d’accorder des marchés publics, les excès de pouvoir d’une autorité hiérarchique font partie des alertes potentielles. Ces excès de pouvoir peuvent revêtir bien des aspects qui vont de l’abus de bien de public au harcèlement du personnel.

Petits conseils…

Il se peut que vous soyez témoin de comportements que vous pensez « illégaux », dans votre service ou votre établissement, et que cela vous ronge.
Avant toute chose, il faut s’assurer que ce que vous constatez est bien illégal. Car malheureusement, immoralité et illégalité ne vont pas de pair. Bien des actions immorales sont malheureusement parfaitement légales.
Ensuite, peut-être n’êtes-vous pas seul(e) à très mal vivre ce que vous constatez au quotidien. Il se peut qu’autour de vous d’autres agents ressentent le même malaise pour les mêmes raisons. Si tel est le cas, coordonnez-vous.
La discrétion est de mise tant que votre dossier n’est pas totalement ficelé. Après, soit vous faites cavalier seul, soit vous portez l’affaire devant les autorités compétentes, sans oublier d’indiquer que votre signalement se fait sous le régime des lanceurs d’alertes. Cette précision vous protège même en cas de divulgation de votre identité. En effet, elle rend la personne responsable de la rupture d’anonymat condamnable devant la loi !
Si vous avez un doute, saisissez votre représentant syndical pour qu’un juriste de votre centrale analyse la situation.
Les syndicats sont normalement destinés à œuvrer pour le respect de la loi et de la réglementation. Leur objet social doit régulièrement viser l’amélioration du bien-être collectif et social. Dès lors, ils ont vocation à épauler tout lanceur d’alerte.
Il n’est malheureusement pas rare que le clientélisme, voire la corruption, soient instillés par nos élites. La restauration des égalités entre agents et usagers face aux décisions de l’administration, contribue alors clairement à l’amélioration de ce bien-être collectif et social.
N’oubliez pas que votre syndicat a le devoir de vous assister dans toutes les démarches que vous entreprenez pour améliorer vos conditions de travail.
Souvenez-vous que cette loi qui protège les lanceurs d’alerte est à vocation vertueuse. Elle vise à faire en sorte que ceux qui se croient intouchables et au-dessus des lois soient rattrapés par leurs actes devant la justice.
Elle doit permettre d’éviter que notre administration ne soit un instrument au service de quelques-uns.
En notre qualité d’agents publics, nous avons le devoir de servir le Pays et les polynésiens sans aucune discrimination d’aucune forme.
Les longues mandatures ont tendance à donner à certains un sentiment naturel de droits et de privilèges, au point de leur faire oublier leurs obligations et leurs devoirs. Nous devons donc nous montrer vigilants sur le fait que cette neutralité demeure.

Nous vous rappelons que nous sommes à votre disposition pour tout problème que vous pourriez rencontrer, que vous soyez affilié(e) ou non à notre centrale.